Dans la forêt profonde vivait, il y a de nombreuses années,
un ermite que sa bonté rendait célèbre à mille lieues alentour.
Chaque jour, il rendait grâces au ciel de l’avoir fait
naître pour soulager la misère humaine. Tous ceux qui s’égaraient dans les bois
trouvaient dans sa cabane un chaleureux accueil. Il n’était bête sauvage qu’il eût jamais fait
souffrir. Sa charité et sa piété étaient sans pareilles. On l’avait pour cela
surnommé « le Bon Ermite »
Il courait tout le jour dans les villages voisins pour y
secourir les pauvres gens. Il n’était guère plus riche qu’eux, mais faisait don
de tout ce qu’il possédait. Un morceau de pain offert par lui avait plus de
valeur qu’une brioche donnée par un indifférent.
Le soir, lorsqu’il rentrait au logis, bien las, un ange lui
servait son repas et s’entretenait avec lui de ses actions quotidiennes.
Le bon ermite vivait parfaitement heureux et en remerciait
Dieu. Il vécut ainsi pendant de longues années. Sa vieillesse s’annonçait
douce. Comme il ne pouvait plus très bien marcher, les misérables connaissaient
le chemin de sa cabane et venaient y recevoir l’aumône. Chacun lui contait ses
joies et ses chagrins. Il partageait les émotions des malheureux et les aidait
à supporter les plus lourdes peines.
Or, un jour qu’un de ses visiteurs lui disait avoir aperçu
un pauvre pécheur que l’on menait au gibet, il s’écria : « C’est bien
fait ! » Son interlocuteur fut surpris de sa réponse.
La journée s’écoula comme à l’ordinaire, mais lorsque vint
le soir, l’ange familier n’apparut pas aux yeux de l’ermite qui dut s’abstenir
de dîner.
Il passa la nuit à se torturer l’esprit, n’arrivant pas à
comprendre ce qui, dans sa conduite avait contrarié le Seigneur.
Le lendemain, il dut encore jeûner et se mit en prières.
A la nuit tombante, il se traîna vers la lucarne de sa
maisonnette pour écouter le chant d’un rossignol perché sur un arbre voisin. La
petite bête lançait vers le ciel de joyeuses trilles.
Lorsqu’elle s’interrompit, le vieillard s’écria : « Comme
tu as le cœur gai ! Sans doute n’as-tu jamais offensé le Seigneur !
Mais qui pourra me dire la raison de son courroux à mon égard ? »
Le rossignol lui répondit : « Tu as commis
une action blâmable en condamnant ce malheureux qu’on allait pendre. Il te
faudra faire pénitence et peut-être, alors, recevras-tu le pardon du Seigneur. »
A ce moment, l’ange domestique parut aux côtés du vieillard
et lui tendit un rameau de bois sec en lui disant : « Tu marcheras
jour et nuit, appuyé sur ce bâton. Tu vivras des aumônes que l’on te fera, et ne devras jamais reposer
deux nuits sous le même toit. Ta délivrance se fera lorsque ce rameau portera
trois pousses vertes... Dès ce soir, mets-toi en route. »
Le pauvre homme prit son bâton et s’achemina d’un pas lent
vers le prochain village. Mais l’ingratitude est humaine. Toutes les portes qui
s’ouvraient lorsqu’il venait porter secours restaient closes à présent et nul
ne voulait recevoir le vieux mendiant.
Souvent il ne récoltait que quelques miettes de pain et s’en
allait coucher sous un arbre.
Par une nuit glaciale d’hiver, il errait tristement. Ses genoux
s’entrechoquaient, tant il avait froid, et ses doigts gourds se crispaient à grand’peine
sur son bâton.
Ne trouvant nul accueil au village, il s’enfonça dans le
bois et s’arrêta devant une cabane creusée à même le roc. Il frappa à la porte.
Une vieille femme apparut.
-Brave femme, peux-tu me donner à dîner et à coucher ?
-Hélas, pauvre bonhomme, j’ai trois fils cruels qui me
tueraient s’ils savaient qu’un étranger a pénétré dans ma cabane.
-Je t’en prie, laisse-moi entrer, sinon, je vais mourir de
froid devant cette porte.
Apitoyée, la bonne vieille, dont le cœur était tendre, le
fit entrer, lui donna une soupe chaude et lui permit de s’étendre près du feu. Il
posa son bâton à côté de lui. La femme lui demanda pourquoi il parcourait la
campagne par ce temps glacial. Le Bon Ermite lui conta l’offense qu’il avait
faite à Dieu et le châtiment qui l’avait suivie. A ces mots, la femme se mit à
pleurer et se lamenta.
-Quelle peine sera réservée à mes brigands de fils quand ils
comparaîtront devant le tribunal céleste !
Le pauvre ermite s’endormit sur sa paillasse. Il fut
réveillé, tard dans la nuit par les trois brigands qui rentraient au logis. Grande
fut leur colère en apercevant le vieillard. Ils menacèrent de le tuer, mais
leur mère s’interposa en disant : « Laissez-le, c’est un pécheur qui
fait pénitence de ses fautes. »
Les brigands, amusés, s’écrièrent : « Holà,
bonhomme, conte-nous un peu tes péchés. »
Le vieillard s’approcha en s’excusant et leur expliqua qu’il
avait une fois irrité le Seigneur et subissait en échange une lourde punition.
Les brigands, impressionnés par ce discours, évoquèrent leur
existence passée et en furent effrayés. Ils se jurèrent de se conduire
honnêtement à l’avenir et firent pénitence dès le soir même.
Quant au Bon Ermite, tout heureux d’avoir opéré une telle
conversion, il se remit sur sa couche et s’endormit d’un profond sommeil, dont
il ne se réveilla pas. En effet, le lendemain, la vieille, voulant le faire
lever, s’aperçut qu’il était devenu froid comme un morceau de glace. Son bâton,
déposé à côté de lui, portait trois pousses vertes...
On n’entendit dès lors plus parler de lui. Seul le rossignol
vint parfois chanter devant sa cabane abandonnée et apprit aux animaux des bois
que le Bon Ermite était au Paradis t que le Seigneur lui avait pardonné.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire