jeudi 12 juin 2014

Les trois rameaux verts-conte de Grimm

Dans la forêt profonde vivait, il y a de nombreuses années, un ermite que sa bonté rendait célèbre à mille lieues alentour.
Chaque jour, il rendait grâces au ciel de l’avoir fait naître pour soulager la misère humaine. Tous ceux qui s’égaraient dans les bois trouvaient dans sa cabane un chaleureux accueil. Il  n’était bête sauvage qu’il eût jamais fait souffrir. Sa charité et sa piété étaient sans pareilles. On l’avait pour cela surnommé « le Bon Ermite »
Il courait tout le jour dans les villages voisins pour y secourir les pauvres gens. Il n’était guère plus riche qu’eux, mais faisait don de tout ce qu’il possédait. Un morceau de pain offert par lui avait plus de valeur qu’une brioche donnée par un indifférent.
Le soir, lorsqu’il rentrait au logis, bien las, un ange lui servait son repas et s’entretenait avec lui de ses actions quotidiennes.
Le bon ermite vivait parfaitement heureux et en remerciait Dieu. Il vécut ainsi pendant de longues années. Sa vieillesse s’annonçait douce. Comme il ne pouvait plus très bien marcher, les misérables connaissaient le chemin de sa cabane et venaient y recevoir l’aumône. Chacun lui contait ses joies et ses chagrins. Il partageait les émotions des malheureux et les aidait à supporter les plus lourdes peines.
Or, un jour qu’un de ses visiteurs lui disait avoir aperçu un pauvre pécheur que l’on menait au gibet, il s’écria : « C’est bien fait ! » Son interlocuteur fut surpris de sa réponse.
La journée s’écoula comme à l’ordinaire, mais lorsque vint le soir, l’ange familier n’apparut pas aux yeux de l’ermite qui dut s’abstenir de dîner.
Il passa la nuit à se torturer l’esprit, n’arrivant pas à comprendre ce qui, dans sa conduite avait contrarié le Seigneur.
Le lendemain, il dut encore jeûner et se mit en prières.
A la nuit tombante, il se traîna vers la lucarne de sa maisonnette pour écouter le chant d’un rossignol perché sur un arbre voisin. La petite bête lançait vers le ciel de joyeuses trilles.
Lorsqu’elle s’interrompit, le vieillard s’écria : « Comme tu as le cœur gai ! Sans doute n’as-tu jamais offensé le Seigneur ! Mais qui pourra me dire la raison de son courroux à mon égard ? »
Le rossignol lui répondit : « Tu as commis une action blâmable en condamnant ce malheureux qu’on allait pendre. Il te faudra faire pénitence et peut-être, alors, recevras-tu le pardon du Seigneur. »
A ce moment, l’ange domestique parut aux côtés du vieillard et lui tendit un rameau de bois sec en lui disant : « Tu marcheras jour et nuit, appuyé sur ce bâton. Tu vivras des aumônes  que l’on te fera, et ne devras jamais reposer deux nuits sous le même toit. Ta délivrance se fera lorsque ce rameau portera trois pousses vertes... Dès ce soir, mets-toi en route. »
Le pauvre homme prit son bâton et s’achemina d’un pas lent vers le prochain village. Mais l’ingratitude est humaine. Toutes les portes qui s’ouvraient lorsqu’il venait porter secours restaient closes à présent et nul ne voulait recevoir le vieux mendiant.
Souvent il ne récoltait que quelques miettes de pain et s’en allait coucher sous un arbre.
Par une nuit glaciale d’hiver, il errait tristement. Ses genoux s’entrechoquaient, tant il avait froid, et ses doigts gourds se crispaient à grand’peine sur son bâton.
Ne trouvant nul accueil au village, il s’enfonça dans le bois et s’arrêta devant une cabane creusée à même le roc. Il frappa à la porte. Une vieille femme apparut.
-Brave femme, peux-tu me donner à dîner et à coucher ?
-Hélas, pauvre bonhomme, j’ai trois fils cruels qui me tueraient s’ils savaient qu’un étranger a pénétré dans ma cabane.
-Je t’en prie, laisse-moi entrer, sinon, je vais mourir de froid devant cette porte.
Apitoyée, la bonne vieille, dont le cœur était tendre, le fit entrer, lui donna une soupe chaude et lui permit de s’étendre près du feu. Il posa son bâton à côté de lui. La femme lui demanda pourquoi il parcourait la campagne par ce temps glacial. Le Bon Ermite lui conta l’offense qu’il avait faite à Dieu et le châtiment qui l’avait suivie. A ces mots, la femme se mit à pleurer et se lamenta.
-Quelle peine sera réservée à mes brigands de fils quand ils comparaîtront devant le tribunal céleste !
Le pauvre ermite s’endormit sur sa paillasse. Il fut réveillé, tard dans la nuit par les trois brigands qui rentraient au logis. Grande fut leur colère en apercevant le vieillard. Ils menacèrent de le tuer, mais leur mère s’interposa en disant : « Laissez-le, c’est un pécheur qui fait pénitence de ses fautes. »
Les brigands, amusés, s’écrièrent : « Holà, bonhomme, conte-nous un peu tes péchés. »
Le vieillard s’approcha en s’excusant et leur expliqua qu’il avait une fois irrité le Seigneur et subissait en échange une lourde punition.
Les brigands, impressionnés par ce discours, évoquèrent leur existence passée et en furent effrayés. Ils se jurèrent de se conduire honnêtement à l’avenir et firent pénitence dès le soir même.
Quant au Bon Ermite, tout heureux d’avoir opéré une telle conversion, il se remit sur sa couche et s’endormit d’un profond sommeil, dont il ne se réveilla pas. En effet, le lendemain, la vieille, voulant le faire lever, s’aperçut qu’il était devenu froid comme un morceau de glace. Son bâton, déposé à côté de lui, portait trois pousses vertes...

On n’entendit dès lors plus parler de lui. Seul le rossignol vint parfois chanter devant sa cabane abandonnée et apprit aux animaux des bois que le Bon Ermite était au Paradis t que le Seigneur lui avait pardonné.

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