Sous un ciel tout bleu, dans une maison de papier rose, très
loin dans une île de corail, vint au monde un petit garçon dont la tête portait
une abondante chevelure.
Une vieille femme qui assistait à sa naissance, et que l’on
disait quelque peu sorcière ; car elle prédisait l’avenir, s’écria :
« Cet enfant aura une vie pleine de succès. Il ira de
triomphe en triomphe et finira, à l’âge de vingt ans, par épouser la fille du
roi des Iles. »
Les parents furent enchantés des prédictions de la vieille
et l’on célébra par des réjouissances la venue au monde du bébé.
Or, pendant que tout le monde festoyait, un oiseau
multicolore survolé l’île en écoutant les propos de chacun et s’en vint, à
tire-d-ail, faire part au roi de la prophétie de la sorcière.
Celui-ci, lorsqu’il apprit la nouvelle, se montra fort
courroucé. Désirant agir par lui-même, il mit les voiles en direction de la
petite île, puis, simulant un naufrage, il se jeta à la mer et nagea jusqu’à la
rive de corail.
Tout le monde accourut pour entourer le pauvre rescapé et
l’on s’aperçut avec stupeur que le roi lui-même venait d’aborder dans l’île
.
Chacun brigua l’honneur de l’abriter pendant la nuit. Le
sort désigna les parents du nouveau-né
En apercevant ce dernier, le roi fit mine de s’extasier sur
sa grâce et demanda la faveur de reposer à côté du berceau.
Tout émus d’un tel privilège accordé à leur enfant, les
parents se retirèrent pour la nuit, après avoir de leur mieux vêtu et installé
le roi qui, dès qu’il fut seul avec l’enfant, le mit de force dans un panier à
pain, puis sortit furtivement de la maisonnette et marcha jusqu’à la grève. Il
entra dans la mer jusqu’à i-jambes, déposa sur l’eau la corbeille qui se mit à
flotter, puis rentra dans la chambrette où il se mit à ronfler, après avoir
pris la précaution d’enterrer sa bourse dans un coin retiré du jardin.
Le lendemain la femme entra pour faire la toilette de
l’enfant et fut vivement inquiète de trouver le berceau vide, à côté du roi
endormi. Elle fit avec anxiété le tour de la chambre, puis de la maison, et ne
trouva pas trace du bébé. Elle vint alors réveiller le roi et lui apprit la
tragique disparition.
Celui-ci s’en montra surpris et effrayé. Il feignit de
chercher sa bourse, et, ne la trouvant as, s’écria :
« Bonnes gens, nous avons sans nul doute été la proie
d’un voleur très malin. Votre enfant a disparu et ma bourse aussi ! Il
faut nous mettre à la recherche de ce malandrin. Pour ma part, je dois
retourner dans mon palais, mais je promets une grande récompense à qui le fera
mettre en prison. »
Le roi, après avoir remercié ses hôtes et tous les habitants
de l’île, prit le large dans la modeste barque d’un pêcheur.
Quelques années passèrent, sans qu’on eût retrouvé le
prétendu voleur ni le bébé.
Ce dernier vogua longtemps sur une mer agitée. Il fut
ballonné au gré des flots, puis, vers le soir, un pêcheur de perles, intrigué
par un panier qui se balançait sur l’eau, l’attira dans son filet et constata
avec émotion qu’il renfermait un bébé à l’abondante chevelure.
Ce pêcheur était un brave homme qui, de concert avec sa
femme, se lamentait chaque jour de n’avoir point d’enfant. Tout fier de sa
trouvaille, il la ramena dans sa pauvre cabane battue par le vent marin et
reçut un accueil joyeux.
L’enfant y vécut heureux pendant dix-neuf ans. Comme il
atteignait sa vingtième année, une tempête sévit encore sur l’océan. Le roi,
suivant son habitude, voyageait seul sur une fragile embarcation. Il visitait
son archipel quand il fut aveuglé par les vagues et les rafales et ne
poursuivit pas plus loin son voyage. Il aborda dans l’île la plus proche. La
trouvant déserte, il en fit le tour et entra dans une cabane d’aspect modeste.
Une femme vaquait aux soins du ménage et chantait d’une voix cassée. Un jeune
homme, assis dans un coin, raccommodait des filets de pêche. Le roi demanda le
couvert et le gîte pour la nuit.
A la tombée du jour, le vieux pêcheur revint chez lui et
reconnut avec stupeur le souverain de toutes les îles.
Le roi posa mille et mille questions aux braves gens. Mais,
pendant qu’il parlait, il ne pouvait détacher son regard de la chevelure blonde
du jeune homme assis en retrait dans un coin de la chambre.
Il lui semblait en reconnaître l’éclat, mais il avait beau
fouiller sa mémoire, il ne pouvait s’expliquer où il l’avait déjà vue.
Questionnant de nouveau ses hôtes, il apprit qu’ils
n’avaient pas d’enfants. Celui qui vivait avec eux avait été recueilli depuis
bientôt vingt ans, alors qu’il bondissait sur la mer agitée dans un panier à
pain. C’était sans doute un enfant abandonné.
Le roi comprit que l’enfant à la toison d’or survécu et que
le beau jeune homme sur qui se portaient ses regards était bien le bébé dont il
voulait à jamais être débarrassé.
Il imagina sur-le-champ un moyen de le faire disparaître, et
pour cela, il se fit remettre un morceau de parchemin qu’il couvrit des
quelques mots suivants : »Dès que vous aurez reçu cette lettre, tuez
celui qui vous l’aura apportée. » Puis il scella le pli et le remit au
jeune homme en disant :
« Porte ce mot dans l’île de Lumière où vivent mon
épouse et ma fille. Lorsque tu aborderas, fais-toi conduire au palais. Tu y
seras accueilli comme il convient au porteur d’une telle lettre.
Le jeune homme, sans aucune méfiance, monta sur une barque
légère et s’en fut à travers les flots déchaînés. Il ne put se diriger. Obligé
d’aborder dans une île, il s’engouffra dans une cabane habitée par trois jeunes
filles aimables et jolies.
Elles l’accueillirent avec beaucoup de soins, l’aidèrent à
dépouiller ses vêtements mouillés et lui préparèrent un lit confortable.
Cela fait, elles le questionnèrent sur le but de son voyage.
Il ne se fit pas prier pour leur conter la mission dont le roi l’avait chargé.
Les jeunes filles enviaient sa chance car on le recevrait
avec honneur au château. Devant se mettre en route le lendemain à l’aube,
l’envoyé du roi s’endormit d’un profond sommeil.
Quant aux jeunes filles, elles ne pouvaient détacher leurs
yeux de la lettre cachetée que le jeune homme avait déposée sur un meuble. Leur
curiosité était si forte qu’elles ne résistèrent pas à l’envie de connaître son
contenu. Elles en brisèrent le sceau et lurent la condamnation du malheureux.
Saisies de pitié, elles brûlèrent la lettre en en refirent une autre, d’aspect
semblable, qui ordonnait à la reine de donner pour époux à sa fille le porteur
de la lettre.
Le lendemain, le jeune homme prit congé de ses hôtesses et
s’en alla sur une mer calmée.
Lorsqu’il parvint dans l’île de Lumière, on lui fit fête en
apprenant qu’il était l’envoyé du roi disparu. Il fut conduit en grande pompe
au château et remit à la reine le pli cacheté. Aussitôt, celle-ci convoqua ses
gens et fit commencer les préparatifs du mariage de sa fille.
La princesse était douce et d’une grande beauté. Elle fut
conquise par la grâce du jeune homme qui, de son côté, ne pouvait la quitter
des yeux.
Le soir même, et sans attendre le retour du souverain, on
célébra des noces grandioses. Les jeunes époux étaient pleinement heureux et
tout semblait devoir contribuer à leur bonheur.
Pourtant leur quiétude fut de courte durée...
Après avoir fait l’inspection de tout son archipel, le roi
rentra dans sa capitale.
Jugez de sa surprise et de sa stupeur lorsqu’il vit, auprès
de sa douce fille, le jeune homme que, depuis vingt ans, il cherchait à faire
périr.
Sa colère se déchaîna si violemment que les arbres de l’île
frémirent et se courbèrent, comme secoués par la tempête.
Puis il interrogea avec dureté le jeune garçon, le sommant
de répondre sans déguiser. Il l’accusa d’avoir substitué un faux à la lettre
écrite de sa main. Le malheureux ne savait comment se défendre et, comme sa
jeune épouse intercédait auprès du roi en sa faveur, il fut décidé qu’il ne
reparaîtrait au château que s’il parvenait à ravir les trois cheveux d’or du
Diable. C’était un exploit que personne, jusque-là, n’avait pu réaliser, et le
roi se réjouissait d’être à tout jamais délivré de son jeune ennemi.
Ce dernier, sans plus tarder, se mit en route pour l’enfer. Il
pénétra dans une grotte gardée par un vieillard chenu qui lui demanda pourquoi
le poisson d’argent ne venait plus déposes ses œufs phosphorescents au coin de
la caverne et le privait ainsi de lumière.
Le jeune homme, interloqué d’une telle question, promit d’y
réfléchir et d’y répondre à son retour. Il continua d’avancer dans les
ténèbres.
Au bout d’un temps fort long, il fut arrêté par un autre
vieillard qui s’inquiétait de ne plus recueillir de vin lorsqu’il pressait l’algue
mauve. Le jeune homme, consulté à ce sujet, promit de fournir une réponse lorsqu’il
reviendrait. Il poursuivit son chemin jusqu’à une rivière qu’il ne parvint pas
à franchir. Il voulut prendre son élan pour sauter sur l’autre rive, mais
comprit qu’il se noierait et attendit quelques instants. Il vit alors un
passeur qui conduisait sa barque d’une berge à l’autre. L’homme accepta de le
transporter mais se plaignit de n’être jamais relayé dans son travail et lui en
demanda la raison.
Lui ayant promis une réponse à son retour, notre ami s’engagea
dans un souterrain. Il avança dans une obscurité totale et, sentant une vive
chaleur, s’aperçut qu’il était devant un portail.
Il frappa... Une vieille femme vint lui ouvrir la porte et
fut émue de le voir si beau.
« Que viens-tu faire ici malheureux enfant ? Ne
sais-tu pas que tu es devant la demeure du diable ? Il n’aime guère la
jeunesse ! »
Mis en confiance par l’air doux de la vieille femme, le
jeune homme lui conta le but de sa visite et les rencontres qu’il avait faites
en chemin.
L’on entendit alors dans le lointain des pas que l’hôtesse
reconnut être ceux du diable.
Sur-le-champ, elle transforma le jeune garçon en une fourmi
qu’elle cacha dans les plis de sa robe et se remit à filer sa quenouille.
Dès qu’il pénétra dans la chambre, le diable renifla de tous
côtés en disant : « Je sens de la chair humaine. »
Sa servante lui répondit qu’il se trompait et que le rôti à
la broche était cuit à point pour son repas.
A moitié convaincu, le maître du logis se mit à table. Il mangea
un bœuf et but un tonneau de vin. Après quoi il s’endormit sur son siège.
La vieille femme et la fourmi se remirent à parler à mi-voix
et cherchèrent un moyen d’ôter trois cheveux d’or de la tête encornée du
diable.
S’approchant de celui-ci, la vieille cria dans ses oreilles :
« Oh ! Je viens d’apercevoir un pou qui courait dans votre chevelure.
Permettez-moi de vous peigner pour chercher ceux qui s’y promènent encore. »
Le diable grogna, ouvrit les yeux et consentit. Il posa sa
tête sur les genoux de la femme et s’endormit de nouveau. Après quelques coups
de peigne, elle arracha un épais cheveu d’or qu’elle glissa dans sa poche. Le diable,
éveillé, se mit à geindre.
-Es-tu folle ? Pourquoi me tires-tu les cheveux ?
-Excuse-moi, mon maître, je faisais un mauvais rêve :
je voyais la grotte de mon vieux grand-père privée de lumière
-Ce n’est pas grave. L’anguille d’or se glisse entre les
fentes des pierres et gobe les œufs phosphorescents. Il n’y a qu’à la tuer et
la grotte redeviendra lumineuse...
Sur ces mots, le diable retomba dans un profond sommeil. La vieille
attendit quelques instants, puis arracha un second cheveu d’or au diable qui,
de fureur se redressa
-Prends garde à toi femme ! Pourquoi me tires-tu à tout
moment du sommeil ?
-J’ai encore rêvé : pourquoi l’algue mauve ne produit-elle
plus de vin ?
-Elle en produit toujours, mais la puce de mer, plus rapide
que le vieillard, suce le liquide avant lui. Il faut tuer la puce et le vin
abondera dans la grotte.
Le diable s’assoupit après avoir menacé son hôtesse de
violents coups de bâton si elle le réveillait de nouveau.
Mais à peine était-il rendormi que la maligne vieille, pour
la troisième fois, lui arracha un cheveu.
Alors, il se leva et prit un gourdin dont il lui donna trois
coups. La servante s’excusa en pleurant et dit qu’elle avait rêvé que le
passeur de la rivière lui demandait le moyen d’être un jour relayé
-C’est bien simple, lui dit en grognant le diable, il n’a qu’à
mettre ses rames dans les mains du prochain voyageur, et sauter à son tour sur
la rive.
Puis, se jetant sur son lit, il s’endormit tout habillé et
ronfla comme une lessiveuse.
La vieille femme sortit alors de la chambre, rendit au jeune
homme sa forme humaine et lui tendit les trois cheveux d’or, après s’être bien
assurée qu’il avait compris les réponses du diable.
Le jeune homme, emportant des vœux de réussite, quitta la
vieille avec des marques de gratitude.
Il n’eut pas de mal à retrouver le passeur qui, dès qu’il l’aperçut,
s’enquit de la réponse.
-Laisse-moi passer la rivière et alors je te répondrai,
dit-il.
Le brave passeur le déposa sur l’autre berge et reçut la
réponse qu’avait formulée le diable, pendant que le rusé garçon s’enfuyait, le
laissant tout désappointé.
Toujours courant, il arriva à la grotte qui manquait de vin,
il guetta la puce de mer, la captura et la tua. Puis il dit au vieillard :
-A présent tu pourras tirer un vin abondant de l’algue
mauve. J’ai détruit la puce qui le suçait.
Le vieillard, reconnaissant, fit don d’un mulet chargé d’or
au jeune homme qui reprit sa course et parvint à la première caverne. Il expliqué
à l’homme qui s’y trouvait que l’anguille lui était funeste et lui donna le
moyen de s’en débarrasser.
Le vieillard à la longue barbe blanche le remercia maintes
et maintes fois et lui fit don également d’un mulet chargé d’or. Muni de ces
richesses, notre héros regagna le palais du roi qui crut mourir de rage en l’apercevant.
Toutefois, comme il était fort beau et possédait à présent d’aussi
grands trésors que le souverain lui-même, il fut accepté pour époux légitime de
la princesse. Et pour la seconde fois des noces magnifiques furent célébrées au
château.
Quant au roi, jaloux des richesses de son gendre, il voulut
aussi visiter l’enfer. Mais le passeur lui mit entre les mains les rames de son
bateau et sauta sur la rive.
C’est pourquoi le souverain ne revint jamais au château. Si vous
avez le courage de descendre en enfer, peut-être le verrez-vous conduire sans
discontinuer sa barque pleine de passagers.
Mais comme généralement on ne revient pas de l’enfer, il les
passe toujours dans le même sens et attend vainement celui à qui il pourra
donner les rames, pour s’en retourner chez lui, même sans les richesses
convoitées.
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