vendredi 13 juin 2014

Le vaillant petit tailleur-conte de Grimm


Par un bel après-midi d’été, un petit tailleur travaillait gaiement dans son atelier. Il était assis tout près de sa fenêtre grande ouverte et tirait l’aiguille en écoutant les bruits de la rue. Une vieille paysanne vient à passer en criant :
-Marmelade toute fraîche ! Qui veut de la marmelade ?
Le petit tailleur l’entendit avec plaisir et, posant son ouvrage, lui fit signe d’approcher :
-Venez ma brave dame ! Venez voir un client sérieux !
Il examina avec soin tous les pots que la vieille portant dans son panier et finit par en choisir un dont la compote sentait particulièrement bon.
-Donnez-m’en de quoi faire deux bonnes tartines, lui dit le petit tailleur.
La vieille paysanne, qui croyait vendre au moins un pot entier, le servit en marmonnant.
Le petit tailleur sourit de sa mauvaise humeur et alla, en sifflotant, prendre un morceau de pain qu’il avait rangé dans un placard. Il prépara deux belles tartines mais les posa sagement près de lui et repris son travail : « Je vais coudre encore un moment et, après, ces tartines me paraîtront encore meilleures.
Cependant, attirées par l’odeur de la marmelade, des mouches se mirent à tourner autour du goûter du petit tailleur. « Eh là, coquines, qui vous a invitées ? dit-il. Allez donc ennuyer la marchande de marmelade mans n’essayez pas de toucher à mes tartines ou il vous en cuira ! » Il fit un geste de la main mais les mouches ne se laissèrent pas impressionner et quelques-unes se posèrent même sur les tartines. Alors, perdant patience, le petit tailleur saisit un morceau de tissu et les frappa violemment. Du premier coup, il tua sept mouches et les autres s’enfuirent. Alors, dénombrant ses victimes qui gisaient à terre, le petit tailleur dit à haute voix :
-Quel rude gaillard je fais ! Sept d’un coup ! Il faut que le monde entier l’apprenne !
Il se confectionna, en hâte, une large ceinture sur laquelle il broda les mots suivants : SEPT D’UN COUP. Il la serra autour de sa taille et chercha dans son atelier ce qu’il pourrait emporter pour le long voyage qu’il allait entreprendre. Il ne trouva qu’un morceau de fromage qu’il mit à tout hasard dans sa poche et il partit.
Il n’avait pas quitté sa ville depuis bien longtemps lorsqu’il rencontra un géant qui le regardait avec amusement.
-Alors ? lui dit hardiment le petit tailleur, tu te demandes si tu es capable d’en tuer sept d’un coup ?
Le géant partit d’un grand éclat de rire :
-Ah ! Ah ! Je n’ai jamais essayé mais regarde seulement ce que je fais de cette pierre.
Disant cela, il ramassa une grosse pierre et la serra si fort dans sa main qu’il en sortit de l’eau. Le petit tailleur ne parut pas étonné et, prenant le morceau de fromage qu’il avait dans sa poche, le pressa au point d’en faire couleur un peu  de jus.
-Attends, dit le géant, surpris de constater tant de force chez un si petit homme, regarde en l’air et tu verras jusqu’où je peux lancer une pierre.
Pendant qu’il prenait son élan, le petit tailleur aperçut un oiseau prit dans un buisson épais et il s’en saisit vivement. La pierre lancée par le géant parut monter jusqu’aux nuages.
-pas mal ! dit le petit tailleur, mais je fais mieux que toi, car ma pierre ne retombera même pas par terre.
Il lança alors le petit oiseau qui continua de s’élever dans le ciel et finit par disparaître.
Le géant demeura stupéfait et le petit tailleur s’éloigna en sifflotant, tout heureux du bon tour qu’il lui avait joué. Poursuivant sa route, il alla ensuite se présenter à un roi très puissant :
-Majesté, lui dit-il, vous avez sûrement besoin d’un gaillard capable d’en abattre sept d’un coup !
Le roi, impressionné, ne voulut pas lui poser de question et l’engagea dans sa garde personnelle. Peu de temps après, il lui demanda s'il oserait s’attaquer à deux terribles géants qui terrorisaient son royaume.
-Bien sûr, lui répondit le petit tailleur, deux géants ne font pas peur à celui qui en abat sept d’un coup !
-Si tu réussis, ajouta le roi, je te donnerai ma fille en mariage et la moitié de mon royaume.
-N’en doutez pas, reprit le petit tailleur, je ramènerai bientôt la tranquillité dans votre royaume.
Le jour même, armé d’une simple fronde, il partit à la recherche des deux géants. Il les trouva endormis à l’ombre d’arbres immenses. Il grimpa dans l’un d’eux et, avec sa fronde, lança quelques cailloux sur le nez d’un géant. Celui-ci se dressa en sursaut. Croyant à une farce de son compagnon, il lui dit d’une voix terrible :
-Si tu me réveilles encore, tu passeras un mauvais quart d’heure.
N’obtenant qu’un grognement pour toute réponse, il s’allongea  à nouveau et ne tarda pas à dormir. Le petit tailleur lui envoya alors d’autres cailloux sur le nez. D’un bond, le géant furieux se releva, déracina un arbre et se mit à frapper son compagnon. Celui-ci se leva plein de rage et, saisissant un arbre à son tour, se mit à rendre les coups.
De sa cachette, le petit tailleur assista au combat le plus sauvage et le plus acharné que l’on puisse imaginer. Lorsque les arbres furent brisés, les géants se frappèrent avec des rochers. Finalement ils s’écroulèrent blessés à mort l’un et l’autre. Lorsque le petit tailleur annonça qu’il avait tué les deux géants, le roi lui demanda de s’emparer d’un sanglier monstrueux que personne n’avait jamais osé approcher.
-Soyez certain, dit le petit tailleur, qu’un sanglier ne peut faire peur à celui qui en maîtrise sept d’un coup.
Il ne tarda pas à se rendre dans la forêt où le redoutable sanglier avait été vu pour la dernière fois. Dès qu’il l’aperçut, le petit tailleur regarda autour de lui et, remarquant une chapelle dont la porte était ouverte, s’avança résolument vers le dangereux animal. Celui-ci, baissant son énorme tête, fonça sur l’insignifiant personnage qui osait l’approcher. Le petit tailleur s’enfuit à toutes jambes et se réfugia dans la chapelle.
Le sanglier le suivit dans un élan aveugle et heurta au passage la porte qui se referma derrière lui. Déjà le petit tailleur sautait dehors par une étroite fenêtre. Le roi vint lui-même contempler l’animal captif et, remerciant le petit tailleur, lui dit :
-Après de tels exploits tu as bien mérité ma fille et la moitié de mon royaume.
Le mariage fut bientôt célébré et c’est ainsi qu’un vaillant petit tailleur devint un roi honoré et respecté de ses sujets.
Son règne cependant fut troublé par un incident qui faillit lui coûter la vie. En effet, une nuit, sa femme l’entendit rêver à haute voix : « Maudit petit tailleur, disait-il, tu n’as pas encore terminé mon habit ! Crois-tu que tu peux faire attendre ton seigneur ? Allons, mes gens, venez donner du bâton à ce petit garnement !
Le lendemain la reine courut se plaindre à son père : «  Le beau mari que vous m’avez donné là ! N’êtes-vous pas honteux d’avoir marié votre fille et donné la moitié de votre royaume à un vulgaire petit tailleur ? Oh ! mon père, punissez cet imposteur qui s’est moqué de vous !
Le roi, furieux d’avoir été trompé, consola sa fille et lui promit de se débarrasser sans tarder de celui qu’il avait pris pour  un véritable héros.
-Ce soir même, veille à ce que la porte de sa chambre ne soit pas fermée à clé et mes hommes les plus sûrs s’empareront de lui et le feront disparaître.
Par bonheur, l’écuyer du jeune roi apprit ce qui se préparait et vint fidèlement prévenir son maître.
-Ne crains rien, lui dit celui-ci, je vais déjouer cette conjuration.
Le soir il se coucha à l’heure habituelle et fit mine de s’endormir profondément. Sa femme alla ouvrir doucement la porte de sa chambre et bientôt des hommes armés s’approchèrent sans bruit de son lit. Alors, comme s’il rêvait tout haut il s’écria :
-Maudit petit tailleur ! Tu n’as pas encore terminé mon vêtement ! Crois-tu que l’on peut faire perdre patience à celui qui en étrangle sept d’un coup ? J’ai tué les deux géants et j’ai capturé le sanglier le plus sauvage, crois-tu qu’une armée entière me ferait peur ?
A ces mots, les hommes du vieux roi s’enfuirent épouvantés.

Le petit tailleur sourit du nouveau tour qu’il venait de jouer. Il s’endormit en songeant que désormais, personne n’oserait plus menacer celui qui pouvait se vanter d’en tuer sept d’un coup.

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