Il y a longtemps de cela, si longtemps qu’on ne sait plus
quand c’est arrivé, vivaient une petite-fille et sa grand-mère. La grand-mère
était très méchante, elle n’aimait pas du tout l’enfant. Pourtant, la
petite-fille était gentille, très gentille. Mais que veux-tu, il arrive parfois
que l’amour ne naisse pas, même entre une grand-mère et sa petite-fille.
Elles vivaient donc toutes les deux dans une cabane en bois
au fond d’une forêt et n’avaient pour se nourrir que quelques fruits cueillis
çà et là, ou encore quelques rats ou lapins, chassés à droite à gauche. La vie
était dure chez ces gens-là, crois-moi !
De plus, la vieille femme était si mauvaise qu’elle
préférait bien souvent garder ce qu’elle trouvait à manger pour elle.
Lorsqu’elle cueillait des fruits, elle se pressait de les
dévorer avant de rentrer chez elle, puis se plaignait auprès de sa petite-fille
de n’avoir rien ramassé. Quand elle
parvenait à attraper un lièvre ou un mulot, elle le faisait cuire sur une
broche improvisée au milieu de la forêt, puis s’en retournait à la cabane en
gémissant que le bois était désert.
Comme la petite-fille était petite, elle croyait sa
grand-mère et restait le ventre vide.
Certes, la vieille femme, de temps en temps lui servait
quelques restes de repas au creux d’une
grande feuille de hêtre, mais jamais suffisamment pour calmer son appétit.
Alors un jour, la faim tenailla tant la fillette qu’elle se
décida à parcourir elle-même la forêt pour trouver de quoi se nourrir. La pauvre !
Elle ne savait pas qu’en hiver les branches étaient recouvertes de neige et que
les fruits n’y poussaient plus. Elle ne savait pas non plus que les animaux
restaient reclus dans leur terrier pour se protéger du froid.
Alors elle marcha longtemps à travers bois sans trouver de
quoi satisfaire son appétit. Net elle marcha tant et tant qu’elle parvint au
bord d’une rivière où elle décida de se reposer un moment.
« J’ai si faim ! se lamentait la petite fille. Où
vais-je trouver de quoi me remplir le ventre ? »
La fillette était si malheureuse qu’elle ne put retenir ses
larmes. Mais bientôt ses sanglots furent interrompus par un bruit étrange.
C’était comme le souffle du vent dans un épais feuillage. Pourtant il n'y avait
pas de vent ! L’eau de la rivière n’était pas agitée, au contraire, elle
était très calme. Les buissons autour d’elle étaient immobiles, rien ne
bougeait. Rien, sauf les feuilles du grand saule sous lequel la petite fille
était assise. Puis se fut l’arbre tout entier qui se mit à s’agiter : son
tronc ondulait, ses branches gesticulaient, ses racines rampaient. Bien entendu
la petite fille prit peur et voulut s’enfuir, mais le grand saule lui attrapa
la jambe avec l’une de ses longue racine et la retint sur place. « Ne t’en
va pas, jolie jeune ville ! »
-Comment ?! Ai-je bien entendu ? s’étonna la
fillette. L’arbre ne vient-il pas de me parler ?
-Oui, répondit le grand saule, en effet, c’est moi qui te
parle ! je viens t’annoncer un bonne nouvelle, alors ne t’en vas pas.
Ecoute-moi plutôt ! »
La petite fille, rassurée, renonça à s’enfuir et décida
d’entendre ce que le saule avait à lui dire.
« Je ne veux plus que tes sanglots résonnent sous mes
branches, reprit l’arbre avec douceur, car ce que je déteste par-dessus tout,
c’est voir rouler des larmes sur les joues d’un enfant. Alors écoute-moi
bien : sous mes racines que je soulève pour toi, tu trouveras de l’argile.
Prends cette terre magique, elle est pour toi et façonne une forme ronde au
bord légèrement relevé. Au fond de ce bol que tu fabriqueras, tu dessineras un
dragon, et avec lui, tous tes malheurs disparaîtront. »
La fillette n’eut pas le temps de poser plus de questions au
grand saule car sitôt qu’il eut fini son discours, il redevint immobile. Son
tronc se raidit ainsi qu’il l’était auparavant, ses branches cessèrent de
s’agiter et ses racines retournèrent se planter dans le sol. Pourtant à la base
de l’arbre, un trou s’était ouvert : la terre en jaillissait.
Sans même réfléchir, la petite fille alla s’y pencher et
creusa de ses ongles la terre épaisse et compacte. Elle s’empara ainsi d’une
grosse boule d’argile qu’elle chauffa de ses petites mains, qu’elle malaxa et
qu’elle façonna comme la moitié d’une coque de châtaigne. Lorsque l’objet fut
prêt, elle dessina au fond, avec la pointe d’un petit bâton, la forme d’un
dragon : une longue queue pointue, des écailles sur le dos et une grande
bouche pour faire jaillir le feu.
Quand la coupe fut finie, la fillette la laissa sécher
quelques instants à ses côtés, le temps pour elle de se reposer un peu et
d’espérer. Bientôt la faim lui rappela qu’il fallait s’éveiller0 alors, la
petite fille prit la coupe et dit en s’adressant au dragon qui en occupait le
fond :
« Petit dragon, j’aimerais bien que la coupe que je
tiens entre mes mains s’emplisse d’une soupe chaude dans laquelle baignaient de
gros morceaux de pain et de larges tranches de lard. »
La fillette n’avait pas fini sa phrase, que la petite coupe
d’argile se remplit d’une soupe fumante garnie de mille bonnes choses. D’abord,
la petite fille observa un moment la soupe, mais bien vite elle y plongea ses
lèvres et se régala de ce savoureux potage. Jamais encore elle n’avait goûté à
quelques chose de si bon ! Lorsque son ventre sut satisfait, la fillette
reprit le chemin de la cabane. Certes, elle allait y retrouver sa méchante
grand-mère, mais maintenant que le gentil dragon veillait sur elle, elle se
sentait moins seule, elle avait moins peur.
Bien entendu, elle ne parla pas de la coupe magique à la
vieille femme. Chaque soir, pourtant, la petite fille allait se cacher pour
demander au petit dragon un bon souper : poisson, perdrix, fruits ou
légumes, la fillette obtenait tout ce qu’elle désirait.
Cependant, malgré tous ses efforts de discrétion, la grand-mère finit par avoir
quelques soupçons. En effet, l’hiver et sa forêt n’avaient pas grand-chose à
apporter à manger et pourtant, chaque jour, la vieille femme découvrait les
joues de sa petite-fille de plus en plus rebondies. La fillette, qui n'était
jusqu’alors qu’une petite silhouette fine et osseuse, se transformait en une
belle et jolie jeune fille.
La grand-mère surveilla donc l’enfant, mais elle ne
découvrit rien. En effet, la petite fille veillait à ce que le dragon de la
coupe magique n’agisse que lorsque la vieille femme dormait. Il aurait été trop
imprudent de se laisser surprendre.
Mais c’était sans compter sur la grande méchanceté de la
grand-mère qui était de plus en plus certaine que la fillette avait un secret.
Aussi, une nuit, la vieille femme fit semblant de dormir. La fillette se pensant en sécurité, alla appeler le petit
dragon de la coupe magique et lui réclama un bol de bouillon de poule. Alors
que la petite fille s’apprêtait à le savourer, sa grand-mère lui sauta au cou,
rageuse, et lui arracha la coupe des mains.
« Sale petite menteuse ! hurla-t-elle. J’ai enfin
découvert ton secret. Tu manges donc ainsi depuis des semaines à ta faim sans
partager avec ta bonne grand-mère ! N’as-tu pas honte ? Mais
d’ailleurs, d’où sors-tu cet objet. Et qu’y –a-t-il à l’intérieur qui sente si bon ? »
La fillette était terrifiée car elle craignait les colères
de sa grand-mère plus que tout au monde. Elle parvint cependant à répondre
entre deux sanglots : « Ceci est un bol, grand-mère !
-Un bol ? reprit la vieille femme avec surprise. Qu’est-ce
que ceci ? »
Il faut dire qu’en ces temps très lointains, les gens ne
connaissaient pas encore les bols. Ils mangeaient dans des feuilles d’arbres ou
de choux.
« C’est un récipient de forme arrondie, répondit la
petite fille. La soupe y est bien plus pratique à manger qu’au creux d’une
feuille ainsi que nous le faisions jusqu’à maintenant. C’est le saule de la
rivière qui m’a demandé de le façonner.
-Et ce potage ? Continua la grand-mère. D’où sors-tu ce
potage à l’odeur si alléchante ?
-C’est le dragon du bol qui me l’a préparé.
-Pauvre fille ! hurla la grand-mère. Un bol magique, un
dragon ! Pour qui me prends-tu ? Petite menteuse, où as-tu volé ce
que tu manges ? Dis-moi la vérité ou je te battrai ! Crois-moi, je te
battrai jusqu’à ce que tu parles !
-Mais non, grand-mère ! Non, je n’ai rien volé !
gémissait la pauvre petite. Regardez vous-même si vous ne me croyez
pas ! »
Alors la fillette tendit le bol à la vieille femme. Ses
petites mains tremblaient, elle avait si peur de sa méchante grand-mère. Et
elle avait raison.
Dès que la vieille femme s’empara du bol, elle y plongea sa
grosse bouche baveuse pour laper la soupe qui s’y trouvait. Puis après s’être
salement essuyé les lèvres de sa longue main noire, elle regarda le fond de la
coupe et découvrit le dessin du dragon qui s’animait.
« Tu disais donc vrai ! s’exclama la grand-mère
avec stupeur. Cet animal a donc le pouvoir de préparer à manger, dis-tu ?
-Oui, grand-mère, c’est bien cela ! reprit la petite
fille toujours aussi effrayé.
-Et bien qu’il en soit ainsi ! Que puis-je lui
demander ?
-Ce que vous désirez grand-mère. »
La vieille femme plongea alors son regard dans le fond du
bol. Elle observa un moment le dragon mais ne remarqua pas qu’il avait changé
d’attitude. Lui qui avait jusqu’alors le regard tendre et le dos rond, avait
maintenant dressé ses écailles et écarté ses naseaux. Aussi, dès que la vieille femme lui réclama à manger, le
dragon fit jaillir de sa gueule un immense jet de feu qui vint brûler la
grand-mère jusqu’à la réduire en cendres.
Après quoi, le dragon retourna prendre sa place au fond du
bol en retrouvant son regard tendre.
Tout cela se passa si vite que la petite fille n’eut pas le
temps de bien réaliser ce qui venait se passer. Paniquée, elle s’empara du bol
et quitta la cabane en courant. Elle courut longtemps, très longtemps, très
très longtemps. Et après avoir couru plusieurs jours, la fillette parvint à un
village.
Elle y fut accueillie avec chaleur par les habitants. Elle
raconta que sa grand-mère était morte et qu’elle était seule à présent, sans
parents, sans maison.
Un couple de villageois qui regrettait depuis toujours de ne
pas avoir eu d’enfant décida de s’occuper de cette pauvre petite fille.
Plus tard, elle présenta son bol au gens du village. Elle
expliqua qu’on pouvait y voire sa soupe et chacun trouva cette idée
merveilleuse.
La petite fille leur apprit à les façonner. Certains le
décorèrent de jolis dessins, d’autres les sculptèrent, et c’est ainsi qu’est né
le bol, dans lequel chaque matin tu prends ton petit déjeuner. Etonnant,
non ?
Et si toi aussi, un jour, tu découvres au fond de ton bol un
dragon magique, surtout, regarde s’il a le dos rond et le regard tendre, sinon,
attention !!!
Cette histoire est suivie d’une explication pour décorer son
bol. Extrait de Contes gourmands de Karine Tournade. Éditeur : lire c’est partir
Vous pouvez le trouver pour pas cher chez
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