samedi 21 juin 2014

L’origine du bol-Contes gourmands

Il y a longtemps de cela, si longtemps qu’on ne sait plus quand c’est arrivé, vivaient une petite-fille et sa grand-mère. La grand-mère était très méchante, elle n’aimait pas du tout l’enfant. Pourtant, la petite-fille était gentille, très gentille. Mais que veux-tu, il arrive parfois que l’amour ne naisse pas, même entre une grand-mère et sa petite-fille.
Elles vivaient donc toutes les deux dans une cabane en bois au fond d’une forêt et n’avaient pour se nourrir que quelques fruits cueillis çà et là, ou encore quelques rats ou lapins, chassés à droite à gauche. La vie était dure chez ces gens-là, crois-moi !
De plus, la vieille femme était si mauvaise qu’elle préférait bien souvent garder ce qu’elle trouvait à manger pour elle.
Lorsqu’elle cueillait des fruits, elle se pressait de les dévorer avant de rentrer chez elle, puis se plaignait auprès de sa petite-fille de n’avoir rien ramassé. Quand  elle parvenait à attraper un lièvre ou un mulot, elle le faisait cuire sur une broche improvisée au milieu de la forêt, puis s’en retournait à la cabane en gémissant que le bois était désert.
Comme la petite-fille était petite, elle croyait sa grand-mère et restait le ventre vide.
Certes, la vieille femme, de temps en temps lui servait quelques restes de repas au  creux d’une grande feuille de hêtre, mais jamais suffisamment pour calmer son appétit.
Alors un jour, la faim tenailla tant la fillette qu’elle se décida à parcourir elle-même la forêt pour trouver de quoi se nourrir. La pauvre ! Elle ne savait pas qu’en hiver les branches étaient recouvertes de neige et que les fruits n’y poussaient plus. Elle ne savait pas non plus que les animaux restaient reclus dans leur terrier pour se protéger du froid.
Alors elle marcha longtemps à travers bois sans trouver de quoi satisfaire son appétit. Net elle marcha tant et tant qu’elle parvint au bord d’une rivière où elle décida de se reposer un moment.
« J’ai si faim ! se lamentait la petite fille. Où vais-je trouver de quoi me remplir le ventre ? »
La fillette était si malheureuse qu’elle ne put retenir ses larmes. Mais bientôt ses sanglots furent interrompus par un bruit étrange. C’était comme le souffle du vent dans un épais feuillage. Pourtant il n'y avait pas de vent ! L’eau de la rivière n’était pas agitée, au contraire, elle était très calme. Les buissons autour d’elle étaient immobiles, rien ne bougeait. Rien, sauf les feuilles du grand saule sous lequel la petite fille était assise. Puis se fut l’arbre tout entier qui se mit à s’agiter : son tronc ondulait, ses branches gesticulaient, ses racines rampaient. Bien entendu la petite fille prit peur et voulut s’enfuir, mais le grand saule lui attrapa la jambe avec l’une de ses longue racine et la retint sur place. « Ne t’en va pas, jolie jeune ville ! »
-Comment ?! Ai-je bien entendu ? s’étonna la fillette. L’arbre ne vient-il pas de me parler ?
-Oui, répondit le grand saule, en effet, c’est moi qui te parle ! je viens t’annoncer un bonne nouvelle, alors ne t’en vas pas. Ecoute-moi plutôt ! »
La petite fille, rassurée, renonça à s’enfuir et décida d’entendre ce que le saule avait à lui dire.
« Je ne veux plus que tes sanglots résonnent sous mes branches, reprit l’arbre avec douceur, car ce que je déteste par-dessus tout, c’est voir rouler des larmes sur les joues d’un enfant. Alors écoute-moi bien : sous mes racines que je soulève pour toi, tu trouveras de l’argile. Prends cette terre magique, elle est pour toi et façonne une forme ronde au bord légèrement relevé. Au fond de ce bol que tu fabriqueras, tu dessineras un dragon, et avec lui, tous tes malheurs disparaîtront. »
La fillette n’eut pas le temps de poser plus de questions au grand saule car sitôt qu’il eut fini son discours, il redevint immobile. Son tronc se raidit ainsi qu’il l’était auparavant, ses branches cessèrent de s’agiter et ses racines retournèrent se planter dans le sol. Pourtant à la base de l’arbre, un trou s’était ouvert : la terre en jaillissait.
Sans même réfléchir, la petite fille alla s’y pencher et creusa de ses ongles la terre épaisse et compacte. Elle s’empara ainsi d’une grosse boule d’argile qu’elle chauffa de ses petites mains, qu’elle malaxa et qu’elle façonna comme la moitié d’une coque de châtaigne. Lorsque l’objet fut prêt, elle dessina au fond, avec la pointe d’un petit bâton, la forme d’un dragon : une longue queue pointue, des écailles sur le dos et une grande bouche pour faire jaillir le feu.
Quand la coupe fut finie, la fillette la laissa sécher quelques instants à ses côtés, le temps pour elle de se reposer un peu et d’espérer. Bientôt la faim lui rappela qu’il fallait s’éveiller0 alors, la petite fille prit la coupe et dit en s’adressant au dragon qui en occupait le fond :
« Petit dragon, j’aimerais bien que la coupe que je tiens entre mes mains s’emplisse d’une soupe chaude dans laquelle baignaient de gros morceaux de pain et de larges tranches de lard. »
La fillette n’avait pas fini sa phrase, que la petite coupe d’argile se remplit d’une soupe fumante garnie de mille bonnes choses. D’abord, la petite fille observa un moment la soupe, mais bien vite elle y plongea ses lèvres et se régala de ce savoureux potage. Jamais encore elle n’avait goûté à quelques chose de si bon ! Lorsque son ventre sut satisfait, la fillette reprit le chemin de la cabane. Certes, elle allait y retrouver sa méchante grand-mère, mais maintenant que le gentil dragon veillait sur elle, elle se sentait moins seule, elle avait moins peur.
Bien entendu, elle ne parla pas de la coupe magique à la vieille femme. Chaque soir, pourtant, la petite fille allait se cacher pour demander au petit dragon un bon souper : poisson, perdrix, fruits ou légumes, la fillette obtenait tout ce qu’elle désirait.
Cependant, malgré tous ses efforts  de discrétion, la grand-mère finit par avoir quelques soupçons. En effet, l’hiver et sa forêt n’avaient pas grand-chose à apporter à manger et pourtant, chaque jour, la vieille femme découvrait les joues de sa petite-fille de plus en plus rebondies. La fillette, qui n'était jusqu’alors qu’une petite silhouette fine et osseuse, se transformait en une belle et jolie jeune fille.
La grand-mère surveilla donc l’enfant, mais elle ne découvrit rien. En effet, la petite fille veillait à ce que le dragon de la coupe magique n’agisse que lorsque la vieille femme dormait. Il aurait été trop imprudent de se laisser surprendre.
Mais c’était sans compter sur la grande méchanceté de la grand-mère qui était de plus en plus certaine que la fillette avait un secret. Aussi, une nuit, la vieille femme fit semblant de dormir. La fillette  se pensant en sécurité, alla appeler le petit dragon de la coupe magique et lui réclama un bol de bouillon de poule. Alors que la petite fille s’apprêtait à le savourer, sa grand-mère lui sauta au cou, rageuse, et lui arracha la coupe des mains.
« Sale petite menteuse ! hurla-t-elle. J’ai enfin découvert ton secret. Tu manges donc ainsi depuis des semaines à ta faim sans partager avec ta bonne grand-mère ! N’as-tu pas honte ? Mais d’ailleurs, d’où sors-tu cet objet. Et qu’y –a-t-il  à l’intérieur qui sente si bon ? »
La fillette était terrifiée car elle craignait les colères de sa grand-mère plus que tout au monde. Elle parvint cependant à répondre entre deux sanglots : « Ceci est un bol, grand-mère !
-Un bol ? reprit la vieille femme avec surprise. Qu’est-ce que ceci ? »
Il faut dire qu’en ces temps très lointains, les gens ne connaissaient pas encore les bols. Ils mangeaient dans des feuilles d’arbres ou de choux.
« C’est un récipient de forme arrondie, répondit la petite fille. La soupe y est bien plus pratique à manger qu’au creux d’une feuille ainsi que nous le faisions jusqu’à maintenant. C’est le saule de la rivière qui m’a demandé de le façonner.
-Et ce potage ? Continua la grand-mère. D’où sors-tu ce potage à l’odeur si alléchante ?
-C’est le dragon du bol qui me l’a préparé.
-Pauvre fille ! hurla la grand-mère. Un bol magique, un dragon ! Pour qui me prends-tu ? Petite menteuse, où as-tu volé ce que tu manges ? Dis-moi la vérité ou je te battrai ! Crois-moi, je te battrai jusqu’à ce que tu parles !
-Mais non, grand-mère ! Non, je n’ai rien volé ! gémissait la pauvre petite. Regardez vous-même si vous ne me croyez pas ! »
Alors la fillette tendit le bol à la vieille femme. Ses petites mains tremblaient, elle avait si peur de sa méchante grand-mère. Et elle avait raison.
Dès que la vieille femme s’empara du bol, elle y plongea sa grosse bouche baveuse pour laper la soupe qui s’y trouvait. Puis après s’être salement essuyé les lèvres de sa longue main noire, elle regarda le fond de la coupe et découvrit le dessin du dragon qui s’animait.
« Tu disais donc vrai ! s’exclama la grand-mère avec stupeur. Cet animal a donc le pouvoir de préparer à manger, dis-tu ?
-Oui, grand-mère, c’est bien cela ! reprit la petite fille toujours aussi effrayé.
-Et bien qu’il en soit ainsi ! Que puis-je lui demander ?
-Ce que vous désirez grand-mère. »
La vieille femme plongea alors son regard dans le fond du bol. Elle observa un moment le dragon mais ne remarqua pas qu’il avait changé d’attitude. Lui qui avait jusqu’alors le regard tendre et le dos rond, avait maintenant dressé ses écailles et écarté ses naseaux. Aussi, dès  que la vieille femme lui réclama à manger, le dragon fit jaillir de sa gueule un immense jet de feu qui vint brûler la grand-mère jusqu’à la réduire en cendres.
Après quoi, le dragon retourna prendre sa place au fond du bol en retrouvant son regard tendre.
Tout cela se passa si vite que la petite fille n’eut pas le temps de bien réaliser ce qui venait se passer. Paniquée, elle s’empara du bol et quitta la cabane en courant. Elle courut longtemps, très longtemps, très très longtemps. Et après avoir couru plusieurs jours, la fillette parvint à un village.
Elle y fut accueillie avec chaleur par les habitants. Elle raconta que sa grand-mère était morte et qu’elle était seule à présent, sans parents, sans maison.
Un couple de villageois qui regrettait depuis toujours de ne pas avoir eu d’enfant décida de s’occuper de cette pauvre petite fille.
Plus tard, elle présenta son bol au gens du village. Elle expliqua qu’on pouvait y voire sa soupe et chacun trouva cette idée merveilleuse.
La petite fille leur apprit à les façonner. Certains le décorèrent de jolis dessins, d’autres les sculptèrent, et c’est ainsi qu’est né le bol, dans lequel chaque matin tu prends ton petit déjeuner. Etonnant, non ?
Et si toi aussi, un jour, tu découvres au fond de ton bol un dragon magique, surtout, regarde s’il a le dos rond et le regard tendre, sinon, attention !!!

Cette histoire est suivie d’une explication pour décorer son bol. Extrait de Contes gourmands de Karine Tournade.  Éditeur : lire c’est partir

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vendredi 13 juin 2014

Le vaillant petit tailleur-conte de Grimm


Par un bel après-midi d’été, un petit tailleur travaillait gaiement dans son atelier. Il était assis tout près de sa fenêtre grande ouverte et tirait l’aiguille en écoutant les bruits de la rue. Une vieille paysanne vient à passer en criant :
-Marmelade toute fraîche ! Qui veut de la marmelade ?
Le petit tailleur l’entendit avec plaisir et, posant son ouvrage, lui fit signe d’approcher :
-Venez ma brave dame ! Venez voir un client sérieux !
Il examina avec soin tous les pots que la vieille portant dans son panier et finit par en choisir un dont la compote sentait particulièrement bon.
-Donnez-m’en de quoi faire deux bonnes tartines, lui dit le petit tailleur.
La vieille paysanne, qui croyait vendre au moins un pot entier, le servit en marmonnant.
Le petit tailleur sourit de sa mauvaise humeur et alla, en sifflotant, prendre un morceau de pain qu’il avait rangé dans un placard. Il prépara deux belles tartines mais les posa sagement près de lui et repris son travail : « Je vais coudre encore un moment et, après, ces tartines me paraîtront encore meilleures.
Cependant, attirées par l’odeur de la marmelade, des mouches se mirent à tourner autour du goûter du petit tailleur. « Eh là, coquines, qui vous a invitées ? dit-il. Allez donc ennuyer la marchande de marmelade mans n’essayez pas de toucher à mes tartines ou il vous en cuira ! » Il fit un geste de la main mais les mouches ne se laissèrent pas impressionner et quelques-unes se posèrent même sur les tartines. Alors, perdant patience, le petit tailleur saisit un morceau de tissu et les frappa violemment. Du premier coup, il tua sept mouches et les autres s’enfuirent. Alors, dénombrant ses victimes qui gisaient à terre, le petit tailleur dit à haute voix :
-Quel rude gaillard je fais ! Sept d’un coup ! Il faut que le monde entier l’apprenne !
Il se confectionna, en hâte, une large ceinture sur laquelle il broda les mots suivants : SEPT D’UN COUP. Il la serra autour de sa taille et chercha dans son atelier ce qu’il pourrait emporter pour le long voyage qu’il allait entreprendre. Il ne trouva qu’un morceau de fromage qu’il mit à tout hasard dans sa poche et il partit.
Il n’avait pas quitté sa ville depuis bien longtemps lorsqu’il rencontra un géant qui le regardait avec amusement.
-Alors ? lui dit hardiment le petit tailleur, tu te demandes si tu es capable d’en tuer sept d’un coup ?
Le géant partit d’un grand éclat de rire :
-Ah ! Ah ! Je n’ai jamais essayé mais regarde seulement ce que je fais de cette pierre.
Disant cela, il ramassa une grosse pierre et la serra si fort dans sa main qu’il en sortit de l’eau. Le petit tailleur ne parut pas étonné et, prenant le morceau de fromage qu’il avait dans sa poche, le pressa au point d’en faire couleur un peu  de jus.
-Attends, dit le géant, surpris de constater tant de force chez un si petit homme, regarde en l’air et tu verras jusqu’où je peux lancer une pierre.
Pendant qu’il prenait son élan, le petit tailleur aperçut un oiseau prit dans un buisson épais et il s’en saisit vivement. La pierre lancée par le géant parut monter jusqu’aux nuages.
-pas mal ! dit le petit tailleur, mais je fais mieux que toi, car ma pierre ne retombera même pas par terre.
Il lança alors le petit oiseau qui continua de s’élever dans le ciel et finit par disparaître.
Le géant demeura stupéfait et le petit tailleur s’éloigna en sifflotant, tout heureux du bon tour qu’il lui avait joué. Poursuivant sa route, il alla ensuite se présenter à un roi très puissant :
-Majesté, lui dit-il, vous avez sûrement besoin d’un gaillard capable d’en abattre sept d’un coup !
Le roi, impressionné, ne voulut pas lui poser de question et l’engagea dans sa garde personnelle. Peu de temps après, il lui demanda s'il oserait s’attaquer à deux terribles géants qui terrorisaient son royaume.
-Bien sûr, lui répondit le petit tailleur, deux géants ne font pas peur à celui qui en abat sept d’un coup !
-Si tu réussis, ajouta le roi, je te donnerai ma fille en mariage et la moitié de mon royaume.
-N’en doutez pas, reprit le petit tailleur, je ramènerai bientôt la tranquillité dans votre royaume.
Le jour même, armé d’une simple fronde, il partit à la recherche des deux géants. Il les trouva endormis à l’ombre d’arbres immenses. Il grimpa dans l’un d’eux et, avec sa fronde, lança quelques cailloux sur le nez d’un géant. Celui-ci se dressa en sursaut. Croyant à une farce de son compagnon, il lui dit d’une voix terrible :
-Si tu me réveilles encore, tu passeras un mauvais quart d’heure.
N’obtenant qu’un grognement pour toute réponse, il s’allongea  à nouveau et ne tarda pas à dormir. Le petit tailleur lui envoya alors d’autres cailloux sur le nez. D’un bond, le géant furieux se releva, déracina un arbre et se mit à frapper son compagnon. Celui-ci se leva plein de rage et, saisissant un arbre à son tour, se mit à rendre les coups.
De sa cachette, le petit tailleur assista au combat le plus sauvage et le plus acharné que l’on puisse imaginer. Lorsque les arbres furent brisés, les géants se frappèrent avec des rochers. Finalement ils s’écroulèrent blessés à mort l’un et l’autre. Lorsque le petit tailleur annonça qu’il avait tué les deux géants, le roi lui demanda de s’emparer d’un sanglier monstrueux que personne n’avait jamais osé approcher.
-Soyez certain, dit le petit tailleur, qu’un sanglier ne peut faire peur à celui qui en maîtrise sept d’un coup.
Il ne tarda pas à se rendre dans la forêt où le redoutable sanglier avait été vu pour la dernière fois. Dès qu’il l’aperçut, le petit tailleur regarda autour de lui et, remarquant une chapelle dont la porte était ouverte, s’avança résolument vers le dangereux animal. Celui-ci, baissant son énorme tête, fonça sur l’insignifiant personnage qui osait l’approcher. Le petit tailleur s’enfuit à toutes jambes et se réfugia dans la chapelle.
Le sanglier le suivit dans un élan aveugle et heurta au passage la porte qui se referma derrière lui. Déjà le petit tailleur sautait dehors par une étroite fenêtre. Le roi vint lui-même contempler l’animal captif et, remerciant le petit tailleur, lui dit :
-Après de tels exploits tu as bien mérité ma fille et la moitié de mon royaume.
Le mariage fut bientôt célébré et c’est ainsi qu’un vaillant petit tailleur devint un roi honoré et respecté de ses sujets.
Son règne cependant fut troublé par un incident qui faillit lui coûter la vie. En effet, une nuit, sa femme l’entendit rêver à haute voix : « Maudit petit tailleur, disait-il, tu n’as pas encore terminé mon habit ! Crois-tu que tu peux faire attendre ton seigneur ? Allons, mes gens, venez donner du bâton à ce petit garnement !
Le lendemain la reine courut se plaindre à son père : «  Le beau mari que vous m’avez donné là ! N’êtes-vous pas honteux d’avoir marié votre fille et donné la moitié de votre royaume à un vulgaire petit tailleur ? Oh ! mon père, punissez cet imposteur qui s’est moqué de vous !
Le roi, furieux d’avoir été trompé, consola sa fille et lui promit de se débarrasser sans tarder de celui qu’il avait pris pour  un véritable héros.
-Ce soir même, veille à ce que la porte de sa chambre ne soit pas fermée à clé et mes hommes les plus sûrs s’empareront de lui et le feront disparaître.
Par bonheur, l’écuyer du jeune roi apprit ce qui se préparait et vint fidèlement prévenir son maître.
-Ne crains rien, lui dit celui-ci, je vais déjouer cette conjuration.
Le soir il se coucha à l’heure habituelle et fit mine de s’endormir profondément. Sa femme alla ouvrir doucement la porte de sa chambre et bientôt des hommes armés s’approchèrent sans bruit de son lit. Alors, comme s’il rêvait tout haut il s’écria :
-Maudit petit tailleur ! Tu n’as pas encore terminé mon vêtement ! Crois-tu que l’on peut faire perdre patience à celui qui en étrangle sept d’un coup ? J’ai tué les deux géants et j’ai capturé le sanglier le plus sauvage, crois-tu qu’une armée entière me ferait peur ?
A ces mots, les hommes du vieux roi s’enfuirent épouvantés.

Le petit tailleur sourit du nouveau tour qu’il venait de jouer. Il s’endormit en songeant que désormais, personne n’oserait plus menacer celui qui pouvait se vanter d’en tuer sept d’un coup.

L’Ondine conte de Grimm

Un brave et jeune chasseur, dont l’habileté était devenue légendaire, s’en alla à travers la forêt, accompagné de son épouse. Il poursuivit un cerf et le tua. Puis il s’approcha d’un étang pour y laver ses mains.
A peine eut-il plongé ses doigts qu’une force l’entraîna vers le fond du lac. Sans pouvoir résister, il se laissa glisser. Une ondine, qui l’attendait depuis des années, lui dit : « Comme je t’ai attendu longtemps, ô toi que j’aime ! Mais nous voici réunis et nul bonheur terrestre n’égalera jamais le nôtre. »
Ebloui par tant de beauté, le chasseur perdit la mémoire et son bonheur fut de contempler la trop captivante ondine.
Pendant qu’il s’abandonnait au charme de la nymphe, son épouse, effrayée, pensa que le malheureux s’était noyé. Alors elle se lamenta. Un vieillard passait par là, il s’offrit à la secourir. La jeune femme lui conta ses malheurs, alors le vieil homme lui tendit un peigne en or et murmura :
-Prends courage, mon enfant. A l’aube tu descendras au bord de l’étant, et assise sur la rive, tu peigneras tes longs cheveux d’or. Lorsque tu auras fini, tu poseras le peigne à tes pieds et tu attendras.
La jeune femme reçut l’hospitalité du bonhomme et le lendemain elle se peigna devant l’étang. Tout à coup l’eau fut agitée : un bras émergea, puis une tête et la pauvre enfant reconnut son mari qui lui sourit tristement et disparut dans le lac redevenu calme.
Toute éplorée, la malheureuse fit part au vieillard de sa déconvenue. Celui-ci lui fit don d’un chalumeau et lui conseilla d’en tirer, dès l’aurore, des sons harmonieux. La jeune femme retourna vers l’étang, et quand elle fut lasse de jouer, l’eau se plissa, le chalumeau disparut et un buste apparut, puis un corps tout entier ; le jeune chasseur tendit les bras vers son épouse, mais l’onde se referma, laissant la jeune femme solitaire et désemparée.
Pour la troisième fois elle revint vers le vieillard, qui lui tendit un rouet d’or : « File ton fuseau et lorsque tu auras épuisé ta provision de lin, attends. »
Lorsqu’elle eut filé tout le lin, il se fit un grand bruit, l’onde s’ouvrit et le jeune homme put sauter sur la berge, où tous les deux s’enfuirent.
Mais leur joie fut de courte durée, car une vague énorme s’éleva et les engloutis ensemble. Ils furent au même moment transformés, l’un en carpe, l’autre en brochet et ils ne purent se reconnaître.

Les deux poissons vécurent séparés, mais un jour, l’un et l’autre furent pris dans un filet. A peine sortis de l’eau, ils redevinrent des humains. Alors tous deux cherchèrent du travail et gardèrent des moutons.
Mais avec les années la belle chevelure d’or de la femme eut la couleur de la lune et ses joues se creusèrent de profonds sillons. Elle allait, solitaire, rongée par le chagrin.
Un jour d’orage elle vit un pâtre tout courbé qui conduisait ses bêtes. L’homme abrita son troupeau, s’assit tristement sur une pierre et joua du chalumeau. La bergère pleurait et dit : « La dernière fois que je jouai cet air, je vis le buste de mon bien-aimé émerger de l’onde. »
L’homme regarda attentivement son visage et, malgré les cheveux blancs, il reconnut sa chère épouse.
Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre et l’orage finissant les enveloppa d’un arc-en-ciel étincelant. Dès lors ils ne se quittèrent plus et retournèrent dans leur pays qui les accueillit avec enthousiasme.

Ils vécurent encore de nombreuses années et, des siècles après leur mort, on parlait encore, au pays, du tendre amour qui les avait réunis.

jeudi 12 juin 2014

Le roi Corbin-conte de Grimm

Dans un magnifique château vivait un roi dont la fille était d’une si grande beauté, que tous ceux qui l’approchaient ne pouvaient se lasser de l’admirer. Ses cheveux étaient d’or, ses yeux d’émeraude et ses dents avaient la perfection d’une rangée de perles.
Ses pieds étaient petits, nul ne pouvait chausser ses brodequins, et sa taille rivalisait de finesse avec celle d’une guêpe.
Ainsi faite, la princesse ne pouvait qu’éblouir. Malheureusement elle était douée d’un orgueil considérable.
Son père décida de la marier. Il convoqua tous les princes des pays voisins afin que la jeune fille en choisit un pour époux. Mais elle repoussait invariablement tous les jeunes rois, trouvant à chacun un défaut risible. Il n’était moquerie qu’elle ne se permît : l’un avait les pieds trop longs, l’autre un ventre trop rebondi, le troisième un nez trop gros, celui-là le dos trop rond.
La princesse, sans nul souci de politesse, leur riait au nez, sitôt qu’ils approchaient.
L’un d’eux se vit reprocher son nez assez long et recourbé comme un bec d’oiseau d’ proie. La princesse s’écria qu’elle ne voulait à aucun prix épouser ce corbin. Le pauvre prince, qui aimait la princesse, en fut profondément peiné.
Quant au roi, il fut pris de colère devant l’orgueil et la méchanceté de sa ville et décida qu’elle épouserait le premier mendiant qui se présenterait au palais.
A quelques jours de là, un misérable joueur de luth vint au château pour y demander l’aumône. Le roi se le fit amener, puis mettant la main de sa fille dans celle du pauvre homme, il dit : « Je te donne ma fille pour épouse. Dès ce soir vous vous mettrez en route pour ta demeure. Puisses-tu, mieux que moi, vaincre son fol orgueil. »
La princesse, éplorée, fut contrainte de quitter le jour même le palais pour suivre son époux. Ils marchèrent longtemps, à pied, car le mendiant ne possédait pas de cheval. La princesse, finement chaussée, se tordait les chevilles dans chaque ornière. Ensemble, ils traversèrent de somptueuses forêts. Emerveillée par la splendeur de ces bois, la princesse demanda qui en était le possesseur. « Tous ces bois appartiennent au roi Corbin », lui fut-il répondu. Aussitôt la princesse sentit poindre un regret dans le fond de son cœur.
Son mari l’entraînait toujours et, malgré sa fatigue, elle ne pouvait interrompre leur course car, dès qu’elle s’arrêtait, elle se faisait rudoyer.
De larges champs de blé s’étendaient devant eux. « A qui appartiennent ces vastes cultures ? demanda-t-elle à son compagnon.
-Tous ces champs à perte de vue sont au roi Corbin.
-Ah ! que n’ai-je épousé le roi Corbin ! s’écria-t-elle avec amertume. Toutes ces richesses seraient alors à moi !
A bout de souffle, la jeune femme se laissait traîner par son époux qui, tout en jurant, la conduisait à travers de riches pâturages.
-Qui donc possède ces grandes prairies où vont paître des troupeaux ?
-Jusqu’à l’horizon, tout ce que nous apercevons est le domaine du roi Corbin.
-Ah ! Que n’ai-je épousé le roi Corbin ! s’écria-telle de nouveau en pleurant.
De lassitude, elle se laissa tomber sur une butte de terre, d’où son époux la fit lever avec force coups de pieds, en lui faisant comprendre qu’il ne voulait plus entendre parler du roi Corbin, et que ses regrets étaient injurieux pour lui.
 
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Après deux jours de marche, le joueur de luth s’arrêta au milieu d’un bois, devant une misérable cabane. Il en ouvrit la porte et y fit entrer la jeune princesse en déclarant : « Voici notre maison. »
La jeune fille eut beaucoup de peine à retenir ses larmes. Sitôt entré, le bonhomme lui ordonna de préparer la soupe. Il lui fallut casser du bois. En allumant le feu, elle brûla une mèche de ses cheveux blonds. Enfin, quand le diner fut prêt, elle appela son époux, mais dès qu’il eut goûté, celui-ci repoussa son assiette d’un air écœuré. La pauvre princesse n’avait jamais de sa vie préparé de repas et tout était brûlé et trop salé.
Elle se retira dans un coin de la chaumière et se mit à verser des larmes amères. Puis, lasse d’un si long voyage, elle s’endormit.
A l’aube, son mari la quitta après lui avoir ordonné de vaquer aux soins du ménage. Sans répit, tout le jour, elle se mit à la tâche, et, la nuit, quand le joueur de luth rentrait au logis, il trouvait le souper cuit à point et sa femme occupée à ravauder des vêtements.
Au bout de quelques jours, voyant ses ressources diminuer, le musicien apporta à sa femme du fil de lin pour faire de la dentelle qu’il irait vendre au marché. La jeune femme se mit à l’ouvrage, mais ses doigts étaient si malhabiles qu’elle emmêla ses fils et ne parvint pas au résultat souhaité. La dentelle était invendable.
Son époux, lorsqu’il rentra, fut très mécontent. Il regretta d’avoir épousé une bonne à rien et s’en plaignit tout haut. La jeune femme, en entendant ces reproches, comprit qu’elle les méritait et sa vanité diminua.
Le lendemain, il apporta des pots de terre qu’elle devait vendra au marché. A l’idée de rencontrer les sujets de son père, la modeste vendeuse de poterie se sentit vivement humiliée. Elle refusa d’aller au marché, mais son époux demeura inflexible.
Devant la grâce de la marchande, tout le monde s’arrêtait et achetait des pots. La marchandise épuisée, la jeune femme rentrait toute joyeuse au logis. Tout alla bien pendant quelques temps. mais un jour, comme les chalands se pressaient autour d’elle, la marchande ne vit pas venir un cavalier ivre, dont le cheval piétina tous ses pots et les brisa en mille morceaux.
Devant ce désastre, elle se mit à pleurer et revint au logis. Lorsque son mari rentra, tard dans la nuit, elle fut obligée de lui conter ses déboires. Celui-ci lui répéta qu’elle n’était bonne à rien et que, dès le lendemain, elle irait au château pour y servir de fille de cuisine.
Chaque matin, elle partait au travail et rapportait le soir, pour son mari, des restes de nourriture qu’elle mettait dans des pots accrochés à sa ceinture.
Elle vivait d’épuisantes journées, le travail était incessant. L’on préparait alors les noces du fils aîné du roi.
Piqué de curiosité, la jeune femme se glissa dans la foule qui admirait les préparatifs de la fête. Elle se rappela avec tristesse le palais resplendissant du roi son père et regretta de tout son cœur son mauvais caractère, qui la privait à présent de tant de richesses.
Pendant qu’elle était en proie à ces sombres réflexions, le fils du roi vit examiner la salle des fêtes, et elle reconnut en lui le roi Corbin. En apercevant la jeune femme vêtue de haillons, celui-ci se fraya un passage dans la foule et la saisit par l’épaule. Prise de peur, elle voulut se dégager et fit avec ses bras de larges mouvements. Mal lui en prit, car les pots contenant la nourriture de son mari s’échappèrent de sa ceinture et roulèrent sur le sol, au grand amusement de la société. Mais le roi, voyant la désolation se peindre sur les traits de la jeune femme, imposa à tous le silence. Elle voulut  fuir et fut retenue dans son élan par le roi qui l’entraîna dans un coin de la salle en lui disant :
-N’aie pas peur de moi. Ton fol orgueil m’a tant blessé que j’ai résolu de te punir, mais je n’ai pu me résoudre à me séparer de toi. Le joueur de luth que tu as épousé n’est autre que moi. C’est moi qui ai cassé tous tes pots à la foire. A présent ton orgueil est vaincu et tu me vois de nouveau prosterné à tes genoux, car je t’aime et veux célébrer ce soir nos noces.
La pauvre fille de cuisine ne pouvait en croire ses yeux. Non plus que tous les serviteurs groupés le long du mur. Elle tomba en pleurant dans les bras du roi Corbin et jura qu’elle était guérie à jamais de sa sotte vanité. On la conduisit à l’appartement royal où elle revêtit une somptueuse robe bleu de nuit tissée d’étoiles d’or.
Et le roi posa lui-même sur sa tête adorable les trois étoiles étincelantes d’un diadème orné de diamants. Puis il la conduisit à travers une haie de laquais, vers la salle des fêtes où tous les rois du voisinage étaient réunis pour l’admirer et se réjouir de son bonheur.

Les noces durèrent trois jours et trois nuits. La princesse eut un mot aimable pour tous les princes qu’elle avait jadis offensés et, lorsqu’on se sépara, tout le monde ne cessait de chanter les louanges du roi Corbin

Les trois rameaux verts-conte de Grimm

Dans la forêt profonde vivait, il y a de nombreuses années, un ermite que sa bonté rendait célèbre à mille lieues alentour.
Chaque jour, il rendait grâces au ciel de l’avoir fait naître pour soulager la misère humaine. Tous ceux qui s’égaraient dans les bois trouvaient dans sa cabane un chaleureux accueil. Il  n’était bête sauvage qu’il eût jamais fait souffrir. Sa charité et sa piété étaient sans pareilles. On l’avait pour cela surnommé « le Bon Ermite »
Il courait tout le jour dans les villages voisins pour y secourir les pauvres gens. Il n’était guère plus riche qu’eux, mais faisait don de tout ce qu’il possédait. Un morceau de pain offert par lui avait plus de valeur qu’une brioche donnée par un indifférent.
Le soir, lorsqu’il rentrait au logis, bien las, un ange lui servait son repas et s’entretenait avec lui de ses actions quotidiennes.
Le bon ermite vivait parfaitement heureux et en remerciait Dieu. Il vécut ainsi pendant de longues années. Sa vieillesse s’annonçait douce. Comme il ne pouvait plus très bien marcher, les misérables connaissaient le chemin de sa cabane et venaient y recevoir l’aumône. Chacun lui contait ses joies et ses chagrins. Il partageait les émotions des malheureux et les aidait à supporter les plus lourdes peines.
Or, un jour qu’un de ses visiteurs lui disait avoir aperçu un pauvre pécheur que l’on menait au gibet, il s’écria : « C’est bien fait ! » Son interlocuteur fut surpris de sa réponse.
La journée s’écoula comme à l’ordinaire, mais lorsque vint le soir, l’ange familier n’apparut pas aux yeux de l’ermite qui dut s’abstenir de dîner.
Il passa la nuit à se torturer l’esprit, n’arrivant pas à comprendre ce qui, dans sa conduite avait contrarié le Seigneur.
Le lendemain, il dut encore jeûner et se mit en prières.
A la nuit tombante, il se traîna vers la lucarne de sa maisonnette pour écouter le chant d’un rossignol perché sur un arbre voisin. La petite bête lançait vers le ciel de joyeuses trilles.
Lorsqu’elle s’interrompit, le vieillard s’écria : « Comme tu as le cœur gai ! Sans doute n’as-tu jamais offensé le Seigneur ! Mais qui pourra me dire la raison de son courroux à mon égard ? »
Le rossignol lui répondit : « Tu as commis une action blâmable en condamnant ce malheureux qu’on allait pendre. Il te faudra faire pénitence et peut-être, alors, recevras-tu le pardon du Seigneur. »
A ce moment, l’ange domestique parut aux côtés du vieillard et lui tendit un rameau de bois sec en lui disant : « Tu marcheras jour et nuit, appuyé sur ce bâton. Tu vivras des aumônes  que l’on te fera, et ne devras jamais reposer deux nuits sous le même toit. Ta délivrance se fera lorsque ce rameau portera trois pousses vertes... Dès ce soir, mets-toi en route. »
Le pauvre homme prit son bâton et s’achemina d’un pas lent vers le prochain village. Mais l’ingratitude est humaine. Toutes les portes qui s’ouvraient lorsqu’il venait porter secours restaient closes à présent et nul ne voulait recevoir le vieux mendiant.
Souvent il ne récoltait que quelques miettes de pain et s’en allait coucher sous un arbre.
Par une nuit glaciale d’hiver, il errait tristement. Ses genoux s’entrechoquaient, tant il avait froid, et ses doigts gourds se crispaient à grand’peine sur son bâton.
Ne trouvant nul accueil au village, il s’enfonça dans le bois et s’arrêta devant une cabane creusée à même le roc. Il frappa à la porte. Une vieille femme apparut.
-Brave femme, peux-tu me donner à dîner et à coucher ?
-Hélas, pauvre bonhomme, j’ai trois fils cruels qui me tueraient s’ils savaient qu’un étranger a pénétré dans ma cabane.
-Je t’en prie, laisse-moi entrer, sinon, je vais mourir de froid devant cette porte.
Apitoyée, la bonne vieille, dont le cœur était tendre, le fit entrer, lui donna une soupe chaude et lui permit de s’étendre près du feu. Il posa son bâton à côté de lui. La femme lui demanda pourquoi il parcourait la campagne par ce temps glacial. Le Bon Ermite lui conta l’offense qu’il avait faite à Dieu et le châtiment qui l’avait suivie. A ces mots, la femme se mit à pleurer et se lamenta.
-Quelle peine sera réservée à mes brigands de fils quand ils comparaîtront devant le tribunal céleste !
Le pauvre ermite s’endormit sur sa paillasse. Il fut réveillé, tard dans la nuit par les trois brigands qui rentraient au logis. Grande fut leur colère en apercevant le vieillard. Ils menacèrent de le tuer, mais leur mère s’interposa en disant : « Laissez-le, c’est un pécheur qui fait pénitence de ses fautes. »
Les brigands, amusés, s’écrièrent : « Holà, bonhomme, conte-nous un peu tes péchés. »
Le vieillard s’approcha en s’excusant et leur expliqua qu’il avait une fois irrité le Seigneur et subissait en échange une lourde punition.
Les brigands, impressionnés par ce discours, évoquèrent leur existence passée et en furent effrayés. Ils se jurèrent de se conduire honnêtement à l’avenir et firent pénitence dès le soir même.
Quant au Bon Ermite, tout heureux d’avoir opéré une telle conversion, il se remit sur sa couche et s’endormit d’un profond sommeil, dont il ne se réveilla pas. En effet, le lendemain, la vieille, voulant le faire lever, s’aperçut qu’il était devenu froid comme un morceau de glace. Son bâton, déposé à côté de lui, portait trois pousses vertes...

On n’entendit dès lors plus parler de lui. Seul le rossignol vint parfois chanter devant sa cabane abandonnée et apprit aux animaux des bois que le Bon Ermite était au Paradis t que le Seigneur lui avait pardonné.

Les trois cheveux d’or du diable, conte de Grimm

Sous un ciel tout bleu, dans une maison de papier rose, très loin dans une île de corail, vint au monde un petit garçon dont la tête portait une abondante chevelure.
Une vieille femme qui assistait à sa naissance, et que l’on disait quelque peu sorcière ; car elle prédisait l’avenir, s’écria :
« Cet enfant aura une vie pleine de succès. Il ira de triomphe en triomphe et finira, à l’âge de vingt ans, par épouser la fille du roi des Iles. »
Les parents furent enchantés des prédictions de la vieille et l’on célébra par des réjouissances la venue au monde du bébé.
Or, pendant que tout le monde festoyait, un oiseau multicolore survolé l’île en écoutant les propos de chacun et s’en vint, à tire-d-ail, faire part au roi de la prophétie de la sorcière.
Celui-ci, lorsqu’il apprit la nouvelle, se montra fort courroucé. Désirant agir par lui-même, il mit les voiles en direction de la petite île, puis, simulant un naufrage, il se jeta à la mer et nagea jusqu’à la rive de corail.
Tout le monde accourut pour entourer le pauvre rescapé et l’on s’aperçut avec stupeur que le roi lui-même venait d’aborder dans l’île
.
Chacun brigua l’honneur de l’abriter pendant la nuit. Le sort désigna les parents du nouveau-né
En apercevant ce dernier, le roi fit mine de s’extasier sur sa grâce et demanda la faveur de reposer à côté du berceau.
Tout émus d’un tel privilège accordé à leur enfant, les parents se retirèrent pour la nuit, après avoir de leur mieux vêtu et installé le roi qui, dès qu’il fut seul avec l’enfant, le mit de force dans un panier à pain, puis sortit furtivement de la maisonnette et marcha jusqu’à la grève. Il entra dans la mer jusqu’à i-jambes, déposa sur l’eau la corbeille qui se mit à flotter, puis rentra dans la chambrette où il se mit à ronfler, après avoir pris la précaution d’enterrer sa bourse dans un coin retiré du jardin.
Le lendemain la femme entra pour faire la toilette de l’enfant et fut vivement inquiète de trouver le berceau vide, à côté du roi endormi. Elle fit avec anxiété le tour de la chambre, puis de la maison, et ne trouva pas trace du bébé. Elle vint alors réveiller le roi et lui apprit la tragique disparition.
Celui-ci s’en montra surpris et effrayé. Il feignit de chercher sa bourse, et, ne la trouvant as, s’écria :
« Bonnes gens, nous avons sans nul doute été la proie d’un voleur très malin. Votre enfant a disparu et ma bourse aussi ! Il faut nous mettre à la recherche de ce malandrin. Pour ma part, je dois retourner dans mon palais, mais je promets une grande récompense à qui le fera mettre en prison. »
Le roi, après avoir remercié ses hôtes et tous les habitants de l’île, prit le large dans la modeste barque d’un pêcheur.
Quelques années passèrent, sans qu’on eût retrouvé le prétendu voleur ni le bébé.
Ce dernier vogua longtemps sur une mer agitée. Il fut ballonné au gré des flots, puis, vers le soir, un pêcheur de perles, intrigué par un panier qui se balançait sur l’eau, l’attira dans son filet et constata avec émotion qu’il renfermait un bébé à l’abondante chevelure.
Ce pêcheur était un brave homme qui, de concert avec sa femme, se lamentait chaque jour de n’avoir point d’enfant. Tout fier de sa trouvaille, il la ramena dans sa pauvre cabane battue par le vent marin et reçut un accueil joyeux.
L’enfant y vécut heureux pendant dix-neuf ans. Comme il atteignait sa vingtième année, une tempête sévit encore sur l’océan. Le roi, suivant son habitude, voyageait seul sur une fragile embarcation. Il visitait son archipel quand il fut aveuglé par les vagues et les rafales et ne poursuivit pas plus loin son voyage. Il aborda dans l’île la plus proche. La trouvant déserte, il en fit le tour et entra dans une cabane d’aspect modeste. Une femme vaquait aux soins du ménage et chantait d’une voix cassée. Un jeune homme, assis dans un coin, raccommodait des filets de pêche. Le roi demanda le couvert et le gîte pour la nuit.
A la tombée du jour, le vieux pêcheur revint chez lui et reconnut avec stupeur le souverain de toutes les îles.
Le roi posa mille et mille questions aux braves gens. Mais, pendant qu’il parlait, il ne pouvait détacher son regard de la chevelure blonde du jeune homme assis en retrait dans un coin de la chambre.
Il lui semblait en reconnaître l’éclat, mais il avait beau fouiller sa mémoire, il ne pouvait s’expliquer où il l’avait déjà vue.
Questionnant de nouveau ses hôtes, il apprit qu’ils n’avaient pas d’enfants. Celui qui vivait avec eux avait été recueilli depuis bientôt vingt ans, alors qu’il bondissait sur la mer agitée dans un panier à pain. C’était sans doute un enfant abandonné.
Le roi comprit que l’enfant à la toison d’or survécu et que le beau jeune homme sur qui se portaient ses regards était bien le bébé dont il voulait à jamais être débarrassé.
Il imagina sur-le-champ un moyen de le faire disparaître, et pour cela, il se fit remettre un morceau de parchemin qu’il couvrit des quelques mots suivants : »Dès que vous aurez reçu cette lettre, tuez celui qui vous l’aura apportée. » Puis il scella le pli et le remit au jeune homme en disant :
« Porte ce mot dans l’île de Lumière où vivent mon épouse et ma fille. Lorsque tu aborderas, fais-toi conduire au palais. Tu y seras accueilli comme il convient au porteur d’une telle lettre.
Le jeune homme, sans aucune méfiance, monta sur une barque légère et s’en fut à travers les flots déchaînés. Il ne put se diriger. Obligé d’aborder dans une île, il s’engouffra dans une cabane habitée par trois jeunes filles aimables et jolies.
Elles l’accueillirent avec beaucoup de soins, l’aidèrent à dépouiller ses vêtements mouillés et lui préparèrent un lit confortable.
Cela fait, elles le questionnèrent sur le but de son voyage. Il ne se fit pas prier pour leur conter la mission dont le roi l’avait chargé.
Les jeunes filles enviaient sa chance car on le recevrait avec honneur au château. Devant se mettre en route le lendemain à l’aube, l’envoyé du roi s’endormit d’un profond sommeil.
Quant aux jeunes filles, elles ne pouvaient détacher leurs yeux de la lettre cachetée que le jeune homme avait déposée sur un meuble. Leur curiosité était si forte qu’elles ne résistèrent pas à l’envie de connaître son contenu. Elles en brisèrent le sceau et lurent la condamnation du malheureux. Saisies de pitié, elles brûlèrent la lettre en en refirent une autre, d’aspect semblable, qui ordonnait à la reine de donner pour époux à sa fille le porteur de la lettre.
Le lendemain, le jeune homme prit congé de ses hôtesses et s’en alla sur une mer calmée.
Lorsqu’il parvint dans l’île de Lumière, on lui fit fête en apprenant qu’il était l’envoyé du roi disparu. Il fut conduit en grande pompe au château et remit à la reine le pli cacheté. Aussitôt, celle-ci convoqua ses gens et fit commencer les préparatifs du mariage de sa fille.
La princesse était douce et d’une grande beauté. Elle fut conquise par la grâce du jeune homme qui, de son côté, ne pouvait la quitter des yeux.
Le soir même, et sans attendre le retour du souverain, on célébra des noces grandioses. Les jeunes époux étaient pleinement heureux et tout semblait devoir contribuer à leur bonheur.
Pourtant leur quiétude fut de courte durée...
Après avoir fait l’inspection de tout son archipel, le roi rentra dans sa capitale.
Jugez de sa surprise et de sa stupeur lorsqu’il vit, auprès de sa douce fille, le jeune homme que, depuis vingt ans, il cherchait à faire périr.
Sa colère se déchaîna si violemment que les arbres de l’île frémirent et se courbèrent, comme secoués par la tempête.
Puis il interrogea avec dureté le jeune garçon, le sommant de répondre sans déguiser. Il l’accusa d’avoir substitué un faux à la lettre écrite de sa main. Le malheureux ne savait comment se défendre et, comme sa jeune épouse intercédait auprès du roi en sa faveur, il fut décidé qu’il ne reparaîtrait au château que s’il parvenait à ravir les trois cheveux d’or du Diable. C’était un exploit que personne, jusque-là, n’avait pu réaliser, et le roi se réjouissait d’être à tout jamais délivré de son jeune ennemi.
Ce dernier, sans plus tarder, se mit en route pour l’enfer. Il pénétra dans une grotte gardée par un vieillard chenu qui lui demanda pourquoi le poisson d’argent ne venait plus déposes ses œufs phosphorescents au coin de la caverne et le privait ainsi de lumière.
Le jeune homme, interloqué d’une telle question, promit d’y réfléchir et d’y répondre à son retour. Il continua d’avancer dans les ténèbres.
Au bout d’un temps fort long, il fut arrêté par un autre vieillard qui s’inquiétait de ne plus recueillir de vin lorsqu’il pressait l’algue mauve. Le jeune homme, consulté à ce sujet, promit de fournir une réponse lorsqu’il reviendrait. Il poursuivit son chemin jusqu’à une rivière qu’il ne parvint pas à franchir. Il voulut prendre son élan pour sauter sur l’autre rive, mais comprit qu’il se noierait et attendit quelques instants. Il vit alors un passeur qui conduisait sa barque d’une berge à l’autre. L’homme accepta de le transporter mais se plaignit de n’être jamais relayé dans son travail et lui en demanda la raison.
Lui ayant promis une réponse à son retour, notre ami s’engagea dans un souterrain. Il avança dans une obscurité totale et, sentant une vive chaleur, s’aperçut qu’il était devant un portail.
Il frappa... Une vieille femme vint lui ouvrir la porte et fut émue de le voir si beau.
« Que viens-tu faire ici malheureux enfant ? Ne sais-tu pas que tu es devant la demeure du diable ? Il n’aime guère la jeunesse ! »
Mis en confiance par l’air doux de la vieille femme, le jeune homme lui conta le but de sa visite et les rencontres qu’il avait faites en chemin.
L’on entendit alors dans le lointain des pas que l’hôtesse reconnut être ceux du diable.
Sur-le-champ, elle transforma le jeune garçon en une fourmi qu’elle cacha dans les plis de sa robe et se remit à filer sa quenouille.
Dès qu’il pénétra dans la chambre, le diable renifla de tous côtés en disant : « Je sens de la chair humaine. »
Sa servante lui répondit qu’il se trompait et que le rôti à la broche était cuit à point pour son repas.
A moitié convaincu, le maître du logis se mit à table. Il mangea un bœuf et but un tonneau de vin. Après quoi il s’endormit sur son siège.
La vieille femme et la fourmi se remirent à parler à mi-voix et cherchèrent un moyen d’ôter trois cheveux d’or de la tête encornée du diable.
S’approchant de celui-ci, la vieille cria dans ses oreilles : « Oh ! Je viens d’apercevoir un pou qui courait dans votre chevelure. Permettez-moi de vous peigner pour chercher ceux qui s’y promènent encore. »
Le diable grogna, ouvrit les yeux et consentit. Il posa sa tête sur les genoux de la femme et s’endormit de nouveau. Après quelques coups de peigne, elle arracha un épais cheveu d’or qu’elle glissa dans sa poche. Le diable, éveillé, se mit à geindre.
-Es-tu folle ? Pourquoi me tires-tu les cheveux ?
-Excuse-moi, mon maître, je faisais un mauvais rêve : je voyais la grotte de mon vieux grand-père privée de lumière
-Ce n’est pas grave. L’anguille d’or se glisse entre les fentes des pierres et gobe les œufs phosphorescents. Il n’y a qu’à la tuer et la grotte redeviendra lumineuse...
Sur ces mots, le diable retomba dans un profond sommeil. La vieille attendit quelques instants, puis arracha un second cheveu d’or au diable qui, de fureur se redressa
-Prends garde à toi femme ! Pourquoi me tires-tu à tout moment du sommeil ?
-J’ai encore rêvé : pourquoi l’algue mauve ne produit-elle plus de vin ?
-Elle en produit toujours, mais la puce de mer, plus rapide que le vieillard, suce le liquide avant lui. Il faut tuer la puce et le vin abondera dans la grotte.
Le diable s’assoupit après avoir menacé son hôtesse de violents coups de bâton si elle le réveillait de nouveau.
Mais à peine était-il rendormi que la maligne vieille, pour la troisième fois, lui arracha un cheveu.
Alors, il se leva et prit un gourdin dont il lui donna trois coups. La servante s’excusa en pleurant et dit qu’elle avait rêvé que le passeur de la rivière lui demandait le moyen d’être un jour relayé
-C’est bien simple, lui dit en grognant le diable, il n’a qu’à mettre ses rames dans les mains du prochain voyageur, et sauter à son tour sur la rive.
Puis, se jetant sur son lit, il s’endormit tout habillé et ronfla comme une lessiveuse.
La vieille femme sortit alors de la chambre, rendit au jeune homme sa forme humaine et lui tendit les trois cheveux d’or, après s’être bien assurée qu’il avait compris les réponses du diable.
Le jeune homme, emportant des vœux de réussite, quitta la vieille avec des marques de gratitude.
Il n’eut pas de mal à retrouver le passeur qui, dès qu’il l’aperçut, s’enquit de la réponse.
-Laisse-moi passer la rivière et alors je te répondrai, dit-il.
Le brave passeur le déposa sur l’autre berge et reçut la réponse qu’avait formulée le diable, pendant que le rusé garçon s’enfuyait, le laissant tout désappointé.
Toujours courant, il arriva à la grotte qui manquait de vin, il guetta la puce de mer, la captura et la tua. Puis il dit au vieillard :
-A présent tu pourras tirer un vin abondant de l’algue mauve. J’ai détruit la puce qui le suçait.
Le vieillard, reconnaissant, fit don d’un mulet chargé d’or au jeune homme qui reprit sa course et parvint à la première caverne. Il expliqué à l’homme qui s’y trouvait que l’anguille lui était funeste et lui donna le moyen de s’en débarrasser.
Le vieillard à la longue barbe blanche le remercia maintes et maintes fois et lui fit don également d’un mulet chargé d’or. Muni de ces richesses, notre héros regagna le palais du roi qui crut mourir de rage en l’apercevant.
Toutefois, comme il était fort beau et possédait à présent d’aussi grands trésors que le souverain lui-même, il fut accepté pour époux légitime de la princesse. Et pour la seconde fois des noces magnifiques furent célébrées au château.
Quant au roi, jaloux des richesses de son gendre, il voulut aussi visiter l’enfer. Mais le passeur lui mit entre les mains les rames de son bateau et sauta sur la rive.
C’est pourquoi le souverain ne revint jamais au château. Si vous avez le courage de descendre en enfer, peut-être le verrez-vous conduire sans discontinuer sa barque pleine de passagers.

Mais comme généralement on ne revient pas de l’enfer, il les passe toujours dans le même sens et attend vainement celui à qui il pourra donner les rames, pour s’en retourner chez lui, même sans les richesses convoitées.