C'est un conte pyrénéen
« Où reparaît la Reine Pédauque »
Il n’y a guère que deux siècles qu’on se préoccupe de l’origine des contes... on sait que la même fable se retrouve à l’infini à travers le monde et je n’en citerai qu’un exemple, tiré du beau livre que voici : « L’Aventure de Jeans de l’Ours », recueillie par Gaston Maugard, à Nébias, dans l’Aude. J’en rapproche le début –l’enlèvement d’une gracieuse jeune fille par l’ours qui en est épris –d’une étude captivante sur Bear Mother (Maman l’Ourse), publiée avec les reproductions des admirables Totems indiens, provenant des Montagnes Rocheuses (1), par ce parfait connaisseur du folklore américain, le docteur Marius Barbeau, directeur du Musée national du Canada, honneur de la science canadienne française (2).
C’est au grand siècle, on le sait, que commença la vogue mondaine des contes, lorsqu’en janvier 1697, Charles Perrault publia ses petits écrits alertes, d’une bonhomie peut-être un peu godronnée, et cependant charmants, les Contes de la mère l’Oie.
Dès lors, la belle société raffola des fées et des lutins, voire des géants et des ogresses. Les dames se piquaient de « mitonner », c’est-à-dire de réciter à tour de rôle, dans les salons littéraires, quelque joli conte du temps passé, dont quelque brave nourrice avait bercé leur petite enfance.
L’une d’elles, Mlle Lhéritier de Villandon, non contente de « mitonner », se piqua d’écrire d’agréable nouvelles, celle entre autres des Aventures de Finette, l’adroite princesse.
Et les rivales ne manquèrent point : la comtesse de Murat, la comtesse d’Aulnoy – la plus méchante des fées –Mlle de la Force, Mme d’Auneuil... C’étaient encore les beaux jours de l’Europe française et cet engouement de la Cour et de la Ville eut tôt fait de franchir nos frontières.
Des enquêteurs, avides de savoir, parcoururent les campagnes et notèrent les simples et merveilleux récits des paysans. On s’aperçut alors que les contes recueillis aux quatre coins du monde avaient entre eux un véritable air de famille, et ce fut l’origine des recherches des frères Grimm, de Max Müller, d’Angelo de Gubernatis et de Lang. Depuis, l’étude des contes est devenue l’une des branches les plus opulentes de ce bel arbre des traditions populaires, le folklore.
Qui sait cependant si les maîtres-mots sur ce thème vénérable et toujours jeune n’ont pas été prononcés, dans son Dialogue sur les Contes de fées, par Anatole France. De fait, la Mère l’Oie ne cessa jamais de le hanter et l’on ne doit pas être surpris si M Bergeret plaça l’un de ses meilleurs récits sous le signe de la Reine Pédauque.
Nos bons villageois, quand on les pressait de dire qui leur avait enseigné tous ces contes, n’avaient jamais qu’une réponse, dont Perrault, d’ailleurs, fit son profit : « C’est ma mère l’Oie. »
Une telle réponse ne pouvait contenter nos savants. Ceux-ci ne tardèrent pas à identifier la mère Loye – « qui toujours filoit et toujours devisoit » à la Reine Pédauque (Regina Pedis aucae) : « Qu’est-ce que la mère l’Oie, dit Anatole France, sinon notre aïeule à tous, et les aïeules de nos aïeules, femmes au cœur simple... et qui, desséchées par l’âge, n’ayant comme les cigales chair ni sang, devisaient encore au coin de l’âtre, sous la poutre enfumée, et tenaient à tous les marmots de la maisonnée ces longs discours qui leur faisaient mille choses ?... Sur le canevas des ancêtres, sur le vieux fonds hindou, la mère l’Oie brodait des images familières, le château et les grosses tours, la chaumière, le champ nourricier, la forêt mystérieuse et les belles dames, les fées, tant connues des villageois et que Jeanne d’Arc aurait pu voir, le soir, sous le grand châtaignier, au bord de la fontaine. »
Cette Reine Pédauque, si elle est sculptée au portail des églises de Sainte-Marie de Nesles, de Saint-Bénigne de Dijon et de Saint-Pierre de Nevers, peu nous chaut, Gascons et Languedociens, Pyrénéens. La Reine Pédauque ne saurait être que de chez nous.
Dans nos campagne, dans nos montagnes, toutes chargées de sublimes légendes, de fabliaux narquois et d’épopées, les petites filles d’Occitanie ne mènent-elles pas encore leurs rondes au chant devenu pour nous inintelligible de :
Cati-cati-mauco,
Lengo de Pedauco !
C’est elle, n’en doutez pas, qui a inspiré à Gaston Maugard sa généreuse entreprise ; bien plus encore que les ménines et les pépis, interrogés par ce jeune conteur ardent et passionné, c’est la reine Pédauque qui s’est penchée, aux veillées d’hiver, sur ce fils du pays de Sault, avide d’apprendre et de connaître, avant d’enseigner et d’instruire ; c’est elle qui, sa couronne d’or dissimulée sous le capulet pyrénéen, est venue s’asseoir près de l’enfant rêveur et lui a conté les plus belles histoires d’un passé qui ne saurait mourir, c’est elle, la Reine aux pieds palmés, qui a fait ce don merveilleux, grâce auquel on peut prédire à ce livre, chez les grands comme chez les petits, la plus grande audience : le don de vie.
Raymond Escholier
1 Plusieurs au Musée national du Canada, à Toronto, un autre, vieux d’un siècle, au Musée de l’Homme à Paris.
2 Marius Barbeau, Bear Mother (Journal of Américan Folklore, January-Match 1946)
L'image de la Reine Pédauque provient du site : http://sadland.over-blog.com/article-la-reine-pedauque-39957890.html
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