samedi 28 septembre 2013

Conte Gascon : Le Roi des Corbeaux

Il y avait une fois un homme qui était vert comme l’herbe et qui n’avait qu’un œil au milieu du front. Ses trois filles étaient belles comme le jour, mais la plus jeune était encore plus ravissante que les aînées. Elle n’avait que dix ans.
Un soir d’hiver, l’homme vert se mit à la fenêtre. Tout d’un coup, dans un grand bruit d’ailes, un oiseau grand comme un veau et noir comme la nuit vint se poser sur le rebord de la fenêtre.
« Coac! Coac! Coac! Je suis le roi des corbeaux.
- Roi des corbeaux, que me veux-tu ?
- Coac ! Coac ! Coac ! Homme vert, je veux une de tes trois filles en mariage.
- Roi des corbeaux, attends-moi ici. » L’homme vert alla dans la chambre de ses trois filles et leur dit :
« Le roi des corbeaux demande l’une de vous en mariage. »
« Père, répondit l’aînée, je suis fiancée depuis un an au fils du roi d’Espagne. Hier, mon amoureux m’a fait dire qu’il viendrait me chercher bientôt pour m’emmener dans son pays. Vous voyez bien que je ne peux pas épouser le roi des corbeaux.
-Père, dit la deuxième fille, je suis fiancée depuis un an au fils du roi des Iles de la mer. Hier, mon amoureux m’a fait dire qu’il viendrait me chercher bientôt pour m’emmener dans son pays. Vous voyez bien que je ne peux pas épouser le roi des corbeaux. »
L’homme vert regarda sa dernière fille, mais la voyant si jeunette, il en eut pitié. Sans rien lui demander, il s’en revint trouver le roi des corbeaux qui attendait toujours, posé sur le rebord de la fenêtre.
« Roi des corbeaux, dit-il, aucune de mes filles ne veut de toi. »
Alors, le roi des corbeaux entra dans une colère terrible. D’un coup de bec, il creva l’œil que l’homme vert avait au milieu du front et s’envola dans la brume. L’homme vert se mit à crier et ses filles arrivèrent en courant.
« Père, qu’avez-vous ? Qui vous a crevé l’œil ?
- C’est le roi des corbeaux, gémit-il, parce que vous l’avez toutes les trois refusé en mariage.
« Père, dit doucement sa plus jeune fille, moi, je ne l’ai pas refusé. »
Le lendemain, le roi des corbeaux revint demander une fille en mariage. L’homme vert lui dit : « Roi des corbeaux, tu auras ma plus jeune fille. »
Alors le roi des corbeaux lui rendit la vue et lui dit : « Coac ! Coac ! Coac ! Dis à ma fiancée qu’elle soit prête demain à la pointe du jour. »
Le lendemain, le ciel était noir de corbeaux. Ils emportèrent leur nouvelle reine à travers les airs, dans leur pays de froid, de neige et de gel, où il n’y avait ni arbres ni fleurs. Au soleil couchant, ils la déposèrent devant la porte du château du roi. Elle entra. Partout des lumières étaient allumées et le feu brûlait dans les cheminées, mais elle ne vit personne.
Tout en se promenant de chambre en chambre, elle arriva dans une grande salle où était dressée une table couverte de plats et de boissons. Il n’y avait qu’un seul couvert. Mais elle n’avait pas le cœur à manger. Elle alla se coucher dans un lit orné de rideaux d’or et d’argent, et attendit, en laissant une lumière allumée.
Au premier coup de minuit, elle entendit un grand bruit d’ailes. C’était le roi des corbeaux. C’était le roi des corbeaux. Il s’arrêta devant sa porte et lui dit :
« Coac ! Coac ! Coac ! Eteins la lumière.”
La reine souffla la chandelle et le roi des corbeaux entra, dans l’obscurité.
« Coac ! Coac ! Coac ! Écoute-moi. Il y a longtemps, j’étais roi parmi les hommes. Aujourd’hui, je suis roi parmi les corbeaux. Un méchant sorcier nous a changé, moi et mon peuple, en corbeaux. Mais grâce à toi, notre épreuve va finir. Je viendrai dormir près de toi chaque nuit mais tu n’as que dix ans et tu ne seras véritablement ma femme que dans sept ans. D’ici là, n’essaie surtout pas de me voir, car il arriverait de grands malheurs à mon peuple et à moi. »
La reine entendit le roi des corbeaux quitter son plumage, puis il se coucha près d’elle. Elle avança la main et elle sentit le froid d’une épée qu’il avait posé entre eux deux. Au matin, alors qu’il faisait encore nuit, elle l’entendit reprendre son plumage et son épée et partir.
Comme elle s’ennuyait à vivre toute seule, la pauvre petite prit l’habitude de partir se promener dans la campagne, malgré le gel et la neige. Elle emportait quelques provisions et ne rentrait que le soir. Un jour, en gravissant une montagne, elle arriva devant un lavoir. Une vieille femme y lavait un linge noir comme la suie en chantant :
Lavandière, continue de laver.
Quand donc va arriver La fillette épousée ?
« Bonjour , lavandière, dit la reine. Je vais vous aider à laver votre linge
- Avec plaisir, pauvrette » répondit la vieille femme.
A peine avait-elle trempé le linge dans l’eau, qu’il devint blanc comme le lait. Alors la lavandière se mit à chanter :
Enfin elle est arrivée, La fillette épousée.
Et elle dit à la reine : « Pauvrette, il y a longtemps que je t’attendais. Grâce à toi, mon épreuve est terminée. Mais toi, tu n’as pas fini de souffrir. Maintenant va-t’en, et ne reviens ici que le jour où tu en auras grand besoin. »
La reine retourna au château. Pendant sept ans moins un jour, elle vécut ainsi, sans voir son mari. Enfin, elle se dit :
« Le temps de mon épreuve va finir. Un jour de moins, ça ne compte pas. Ce soir, je saurai à quoi ressemble le roi des corbeaux. »
Le soir, elle cacha une lumière dans sa chambre. Quand le roi des corbeaux fut endormi, elle alla prendre la chandelle et le regarda : c’était un jeune homme beau comme le jour ! Elle s’approcha pour mieux le voir, et un peu de cire brûlante tomba sur lui. Alors il s’éveilla.
« Femme, lui-dit-il, qu’as-tu fait ? Si tu avais attendu demain, j’aurais été à toi pour toujours sous la forme où tu me vois maintenant. Mais ce qui est fait est fait. Quitte ce château car il va s’y passer des choses que tu ne dois pas voir et va où tes pas te conduiront.
La reine quitta le château en pleurant. Le méchant sorcier qui tenait le roi des corbeaux en son pouvoir entra dans la chambre, enchaîna son ennemi et l’emporta à travers les nuages en haut d’une montagne. Là, il enfonça l’extrémité de la chaîne dans le roc et y coula du plomb fondu. Il fit garder le roi des corbeaux par deux grands loups : l’un était blanc et veillait le jour, l’autre était noir et veillait la nuit.
Pendant ce temps, en pleurant, la reine avait pris le chemin de la montagne, pour aller demander de l’aide à la vieille lavandière. Celle-ci lui donna une besace qui contenait toujours du pain, une gourde qui contenait toujours du vin, un couteau d’or et des sabots de fer.
« Mets ces sabots de fer et cherche l’herbe bleue qui chante nuit et jour et qui brise le fer. Quand tes sabots se briseront, tu ne tarderas pas à retrouver ton mari.
La reine partit. Elle marcha longtemps et arriva dans un pays où le soleil brillait jour et nuit. Elle le parcourut pendant un an et trouva une herbe bleue. Elle saisit son couteau d’or.
« Reine, lui dit l’herbe bleue, je ne suis pas l’herbe bleue qui chante nuit et jour et qui brise le fer. »
Alors la reine repartit. Elle arriva dans un pays où la lune brillait jour et nuit. Elle le parcourut un an et trouva une herbe bleue qui chantait jour et nuit. Elle prit son couteau.
« Reine, lui dit l’herbe bleue, je suis l’herbe bleue qui chante jour et nuit mais je ne suis pas l’herbe qui brise le fer. »
Alors la reine repartit. Elle arriva dans un pays où il faisait toujours nuit. Au bout d’un an, elle entendit chanter dans la nuit : « Je suis l’herbe bleue qui chante jour et nuit, l’herbe qui brise le fer. »
Alors les sabots de la reine se brisèrent. Elle marcha vers l’endroit d’où venait la chanson, trouva l’herbe bleue et la coupa de son couteau d’or.
Pendant sept jours et sept nuits, elle marcha encore et elle finit par sortir du pays de la nuit. Elle arriva au pied d’une montagne et aperçut le roi des corbeaux enchaîné au sommet. Le loup blanc veillait tandis que le loup noir dormait.
L’herbe bleue chantait toujours : « Je suis l’herbe bleue qui chante jour et nuit, l’herbe qui brise le fer. »
Bercé par cette chanson, le loup blanc ferma les yeux, se coucha et s’endormit. La reine s’approcha et, de son couteau d’or, égorgea le loup blanc et le loup noir. Puis, avec l’herbe bleue, elle toucha les chaînes qui emprisonnaient le roi des corbeaux. Aussitôt, l’herbe bleue se flétrit, les chaînes se brisèrent et le roi des corbeaux se leva, libre. Des quatre coins du ciel arrivèrent des corbeaux. Au fur et à mesure qu’ils se posaient sur la montagne, ils reprenaient leur forme d’homme. Le roi dit à son épouse :

« Merci, grâce à toi, mes épreuves et celles de mon peuple sont terminées. Désormais, nous pourrons être heureux. »

Sagesse Amérindienne : Deux Loups


Une très belle et trop courte histoire qui devrait nous faire réfléchir un petit peu...  J'ai gambergé  bien sûr et  le résultat : je continue à nourrir mes deux loups...  Et vous? quel sera Votre loup gagnant?

DEUX LOUPS 
Un soir, un vieux Cherokee parlait à son petit-fils du combat qui a lieu à l’intérieur des gens.
Il disait : « Mon petit, il y a une lutte entre deux loups à l’intérieur de chacun de nous.
« L’un est le Mal – c’est la colère, l’envie, la jalousie, le chagrin, le regret, la cupidité, l’arrogance, l’apitoiement, la culpabilité, l’amertume, le sentiment d’infériorité, le mensonge, l’orgueil, la supériorité et l’égo.
« L’autre est le Bien – c’est la joie, la paix, l’amour, l’espoir, la sérénité, l’humilité, la bonté, la bienveillance, l’empathie, la générosité, la vérité, la compassion et la foi. »
Le petit-fils a réfléchi pendant quelques instants, puis il a demandé à son grand-père :
« Quel loup va gagner? »
Le vieux Cherokee a simplement répondu : « Celui que tu nourris. »

Le Miraculé de Solférino

Cette magnifique histoire est à lire -ou à faire lire- à vos enfants, car, non seulement elle est parfaitement écrite avec des mots simples (quelquefois un peu de patois), mais en plus, c'est l'occasion de faire un peu d'Histoire -avec les guerres Napoléoniennes - mais aussi de Géographie, en apprenant à situer les villes cié=tées...et tout cela de façon fort agréable

Le Miraculé de Solférino. A l’autre bout de la plaine, près des eaux stagnantes de la Vézère, se profilaient, à travers un rideau de peupliers gigantesques, le clocher verdissant de lichen et les toits d’ardoises bleutés du petit bourg de Saint-Viance. Par ce bel après-midi de la Saint-Jean 1860, un homme marchait à grands pas sur le chemin de terre qui conduisait au village.
solférinoVêtu d’une chemise de toile claire, largement ouverte sur la poitrine, d’un ample pantalon de droguet noir arrêté en accordéon sur une paire de brodequins cloutés, la veste jetée à la diable sur le bras gauche, il portait au bout d’un bâton reposant sur son épaule droite, un énorme baluchon. Coiffé d’un feutre sombre à large bords, visage buriné,  l’homme paraissait encore jeune –la trentaine tout au plus – malgré une vilaine cicatrice au milieu du front et sa barbiche très noire, « à l’impériale » ; cependant, deux yeux bleus, extrêmement mobiles, un nez court et bien dessiné, une bouche rieuse, bannissaient toute sévérité de sa physionomie. En dépit de sa petite taille, l’homme semblait robuste et sous les abords d’un rude paysan, se dégageait une personnalité hardie, aussi instruite des vicissitudes de la terre que de son labour... Il s’appelait Pierre, s’en revenait de guerre, et rentrait « au pays » après six ans d’absence.
Dès qu’il put distinguer nettement les premières maisons du bourg, Pierre se mit à compter ses pas, mentalement, à rebours, pour tromper son impatience. Dans l’enfer de Crimée, au plus âtre de la sanglante campagne d’Italie, il avait tant espéré, imaginé et attendu cet instant, qu’il en connaissant tous les actes, comme un scénario, appris par cœur. Ce serait, il n’en doutait pas, une fête à tout casser, mieux que le retour de l’enfant prodigue, avec de la cochonnaille à pleins cabas et de la  piquette comme s’il en pleuvait ! Et de la bourrée, et de la mazurka, et de la valse, et des filles rougeaudes se démenant au son de la chabrette sous les chênes du mail ! Mais à présent, une sourde angoisse le tenaillait : la mère ? Qu’était-elle devenue, la chère femme, emmurée dans son veuvage, écrasée par les rudes travaux que lui imposait sa misérable condition ? Avait-elle survécu au chagrin de son départ, à la solitude, à la crainte de perdre ce fils unique pour qui elle se serait vouée au diable, malgré son inébranlable piété ? Il se souvenait de son air accablé, le jour où il avait topé, contre une poignée de francs, de remplacer le fils du châtelain, désigné par le sort pour  servir la « paix de l’Empereur ». De son visage bouleversé au moment si joyeux de la conscription ! Mais quoi, à vingt ans, est-il permis d’hésiter entre la misère et la gloire ?
Le village paraissait étrangement silencieux, comme assoupi dans le bouillant prélude de l’été. Pierre consulta le soleil, l’ombre du grand figuier tordu, à demi couché vers le ponant qui, depuis des générations bornait l’entrée sud du bourg. Pas de doute, l’heure de la méridienne largement consommée, à l’époque des fenaisons, le patelin tout entier devrait bourdonner comme une ruche ! Or, pas un chenapan ne se baguenaudait dans la rue, pas un caraco de vieille ne s’agitait sur le pas de la porte. Nul cri, nul appel de vacher ne déchirait l’air et, de la forge elle-même, ne montait plus la grosse vois de l’enclume. « Bah ! se dit Pierre, nos pétarous (pieds-terreux) sont devenus aussi mollasse que des coujous (mangeurs de courges, nom péjoratif des habitants de Brives), ils se seront oubliés dans leurs couettes.
La vieille croix de grès rouge, gardienne de tant de maux, flamboyait sous sa guipure de lierre blanc. C’était à l’un de ses bras, qu’avant de partir, il avait suspendu, selon le rite, un gros bouquet de millepertuis pour conjurer le mauvais œil qui guette le jeune conscrit en campagne. Té, « les anciens », mieux que le curé, s’y connaissaient en maléfices ! Le cœur plein d’une subite gratitude, Pierre laissa chois son bagage, s’agenouilla avec respect devant le saint emblème et baisa, par trois fois, la terre du chemin. Puis, comme frappé par la danse de Saint-Guy, il laissa éclater sa joie, s’aspergeant de poussière, criant et gesticulant aux quatre vents...Aux tintamarre du « fadassou », un corniaud qui somnolait sous une charrette, s’enfuit en jappant de terreur. Ce fut, illico, un beau concert d’aboiements, de hurlements, de braiments, de meuglements... comme si toute la gent animale avait vu le « loup-garou » (dans la tradition limousine, diable déguisé en loup) en personne !
Pas une invective ne s’éleva pour faire cesser le vacarme. Ça, c’était contre nature ! »Parole, ils sont tous morts, dans le bled ! » se dit Pierre, intrigué au plus profond de son être. Alors, résolument, il s’enfonça dans le bourg.
La grand-place était déserte. Déserte ? Non, pas tout à fait. Assis sur un banc de fortune, à l’ombre violâtre d’une sémillante glycine, les mains crochetées à une canne, reposait un vieillard. Pierre reconnut « lou Grognard », ce vieux loufoque sourd comme un pot qui, après avoir traîné ses guêtres quinze ans au service du Grand Empereur, de l’ « ounclhe », ne maniait plus avec verdeur que le bâton et le blasphème... Bon chrétien à Austerlitz, il avait maudit le ciel une première fois dans le charnier de Borodino,  une seconde à Leipzig et pris un dernier coup de sang à Waterloo. Passablement décrépit depuis des années,  il ne s’accrochait à la vie que pour mieux insulter Dieu et le clergé qu’il accusait de haute trahison et de peste bourbonique ! Le ciel, magnanime, ne lui en tenait pas rigueur, puisque le pauvre gaga était encore de ce monde...
C’est alors que Pierre distingua une rumeur confuse, une sorte de brouhaha qui montait de l’église. Au même instant, l’unique cloche se mit à vibrer dans le campanile, comme pour indiquer la fin d’un office et un premier groupe de paysans endimanchés s’inscrivit dans l’embrasure de la porte principale.
« C’était donc ça ! » se dit Pierre en poussant un soupir de soulagement ! Ainsi, les champs déserts, le village muet... tout s’expliquait !
« Pas de cercueil... soliloqua-t-il en retirant son chapeau, il ne s’agit donc pas qu’un enterrement ! Alors, que diable cette messe à l’heure des fauchaisons ? »
En un clin d’œil, le parvis fut noir d’une foule jacassière mais, à sa vue, comme par magie, un bœuf d’une singulière facture pesa sur chaque langue... Aux grands éclats de voix, succéda un silence de mort, à peine troublé par le son aigrelet de la cloche. Réflexe séculaire et opiniâtre... on se défiait des « étrangers » !
« Quoi, marmonna Pierre, surpris par la fraîcheur de l’accueil, tant de visages familiers et par un qui me reconnaisse ?
Pourtant, ajouta-t-il avec une pointe d’émotion, ils sont tous là, au grand complet, propres comme des sous neufs, les hommes mûrs étriqués dans leurs constumes « noubial », les femmes en capote et barbichet (coiffe du pays), tous gauches avec leurs trognes de braves gens enluminées par le grand air ! »
Oui, ils étaient tous là... les Lafargues, les Darcissac, les Sauvage, le gros Baril, la clampe Baudenon, les Lamy... et même les gens du Rieux ((Rieux et Risque-Tout : localités avoisinantes) ! Et comment qu’ils étaient là ! Et comment qu’ils te le lorgnaient, l’arrivant, avec des yeux larges comme des soucoupes, aussi ébahis que s’ils avaient vu le spectre de Saint-Viance ! Pierre les dénombra rapidement et sentit son cœur battre la chamade. Venue du fond des entrailles, une douleur fulgurante lui arracha un cri, vibrant comme la dernière plainte d’un moribond :
« La Mère ! Où est la Mère ? »
Un voile de sang injecta son regard ; il chancela, comme dans la mousquetade de Solférino. La mère n’y était pas !
Tout à coup, quelque chose d’inintelligible, une sorte d’horrible gargouillis, parti crescendo, creva le mur du silence et lui fit recouvrer ses esprits. « Pierrot, noun de Diou, mais ch’est lou Pierrot ! » glapissait le vieux débile, en ponctuant ses piaillements de formidables coups de canne. Il se démena tant et si bien, le pauvre fol, que, derechef, tous les bâtards du voisinage lui firent chorus à pleine gueule...
Un vent de stupeur abêtit l’assemblée. « Lou Pierrot ! Ch’est lou pierrot ! » répétaient les croquants sur le ton de la plus parfaite incrédulité.
« Et bien oui, ch’est moi, lou Pierrot, le fils de la Mélanie en chair et en os ! » hurla-t-il pour couvrir le charivari mais furieux, surtout, qu’on eût l’air d’en douter ;
« Drôlement fadée la réception ! Enfin, qu’est-ce qu’ils ont tous à me regarder avec ces yeux de merlan-frit ? » bougonna-t-il au comble de l’exaspération.
Ce qui se passa alors et à peine descriptible. Une rumeur s’éleva de la foule, puis un grondement, un tollé, enfin, une véritable explosion de joie secoua le village tout entier. Imaginez les débordements d’un Robinson  Crusoé voyant fuir les cannibales, multipliez-les par deux cents, trois cents ou quatre cents, et vous aurez encore une faible idée de la liesse, car régnait ici une sainte odeur de mystère ! Quiconque connaît l’extrême pudeur des limousins pourra juger de l’ampleur du délire qui frappa ces caboches d’un ordinaire si pondérées !... Criant au miracle, invoquant les sains, «  les fades » (fées plus ou moins malfaisantes), la Vierge, « la chasse volante » (lo chasso galiero, horde d’enfants morts sans baptême –très redouté-) et les « tornes » (revenants), tout le saint- frusquin du paganisme rural, un essaim d’hystériques se précipita sur le malheureux Pierrot, l’empoigna à bras-le-corps et le hissant au-dessus de leurs têtes, se le trimballa de main en main, comme une javelle de seigle au bout d’une fourche ! De bonnes grand’mères, percluses des quatre membres s’agenouillèrent en marmottant. Quelques friponnes qui avaient jeté leurs épingles* bien loin de Sainte Catherine, esquissèrent un farandole tandis qu’une horde de mioches, excitée par le tohu-bohu, se flanquait des gnons sous couvert d’allégresse...
Un fait insigne gélifia les ardeurs et ramena promptement le calme. Un calme précaire toutefois, entrecoupé de reniflades, de borborygmes, de brusques raclements de gorges qui en disaient long sur l’émotion des protagonistes. A la porte de la sacristie, soutenue par un de ces curés en sabots et soutane lustrée, plus riche en couleurs qu’en tout autre bien terrestre, venait d’apparaitre une vieille femme, ratatinée, cassée, et comme desséchée sous ses chiffes noires. En suspens sur quelques bras vigoureux, Pierre qui ne comprenait toujours rien à tant de chaud et froid, se crut, un instant le jouet d’une hallucination... Fantasmes, migraines et vertiges constituaient, depuis Solférino, la majeure partie de son bulletin de guerre, tout le gain moral de sa contribution à la gloire de l’Empire !
« La Mère ! » balbutia-t-il en faisant clignoter ses quinquets, comme pour chasser une vision pernicieuse.
Avertie, peut-être par ce sixième sens qu’on dit l’apanage des humbles, la pauvre femme releva son voile et tourna vers lui un visage émacié, exsangue,  mais où brillaient, comme des charbons ardents, deux yeux que tout l’amour du monde n’aurait pu consumer... les mirages ont-ils ces expressions-là ?
Alors, seulement, Pierre réalisa la plénitude de son bonheur retrouvé et, d’un saut de carpe gigantesque s’arracha de son pavois.                                                                                                                                                                                                                                      Deux cris. Deux interjections brèves et naïves éclatèrent sous la feuillée des grands chênes ; en pluie, la confusion retomba sur les villageois : une mère digne, à demi-morte de chagrin, avait retrouvé son enfant. Ce fils de la terre, ce misérable cul-terreux, qui avait rejeté la charrue pour conquérir la fortune à coups de baïonnette ! Comme si le beurre que l’on tire du sang des hommes était plus noble, plus riche et plus savoureux que celui baratté à la cuillère de bois ! Déjà à Sébastopol, dans cette immonde boucherie où la bonne chère fut le privilège exclusif du froid, du choléra et de la canonnade, il avait compris l’inanité de ses illusions. Mais c’est dans les plaines dorées de Lombardie, près de l’illustre champ de bataille de Castiglione où périrent, fauchées pour la gloire d’un autre conquérant, quelques milliers de fortunes en herbe ; qu’une balle d’Autriche lui ouvrit en plein front, un œil d’une cyclopéenne clairvoyance... Tenu pour charogne au soir de la victoire et abandonné au fossoyeur, recueilli à l’ultime minute par une famille de braves Italiens plus démunis que Job, il avait pu, grâce à leurs soins attentifs, recouvrer sa vigueur après plusieurs mois d’une effroyable convalescence. Du néant où il réchappa de justesse, il exhuma le plus grand trésor de la terre : un goût furieux de vivre, de revoir le pays natal, la mère qu’il n’avait cessé d’appeler dans son interminable délire ! Un long cheminement à travers le Piémont, la France rurale, la France hospitalière, permit à ce vivant mort pour des querelles de Princes, de retrouver le foyer perdu, la misérable saveur du bonheur d’antan, de combien préférable encore à la puanteur des charniers !
Que dire sur cette mémorable journée dont le souvenir estompé demeure, gravé par ouï-dire, dans les cervelles de quelques vieux du pays ? Il faudrait un rude talent pour restituer l’atmosphère des réjouissances qui, jointes à celels de la traditionnelle frairie de la Saint Jean, saluèrent les retrouvailles de la « pôv’Mélanie » et de son « Voltijour » de fils, comme la coutume populaire ne manque pas de le désigner. Disons qu’on ne lésina pas sur les barricots, mais les plus solides gueules de bois s’attendrissent vite au grand air et le surlendemain, les carcasses avaient retrouvé leur aplomb !
Le bon mot de cette histoire, ce fut sans doute le curé qui le prononça, lorsque, les premières effusions passées, il s’approcha de Pierre et lui dit, d’un ton très peu sacerdotal :
« Sapristi ! Le Très-Haut m’est témoin, quel sacré couillon tu nous fait ! Retourner au bercail, au jour et à l’heure où nous disions une messe pour le repos de ton âme ! Si seulement tu avais eu l’idée de te pointer à l’Elévation, ça m’aurait fait un saint de plus dans la paroisse ! »

Claude Lajoinie   parut dans Auvergne magazine janvier 1979

Conte pyrénéen :La Reine Pédauque

C'est un conte pyrénéen
« Où reparaît la Reine Pédauque »
Il n’y a guère que deux siècles qu’on se préoccupe de l’origine des contes... on sait que la même fable se retrouve à l’infini à travers le monde et je n’en citerai qu’un exemple, tiré du beau livre que voici : « L’Aventure de Jeans de l’Ours », recueillie par Gaston Maugard, à Nébias, dans l’Aude. J’en rapproche le début –l’enlèvement d’une gracieuse jeune fille par l’ours qui en est épris –d’une étude captivante sur Bear Mother (Maman l’Ourse), publiée avec les reproductions des admirables Totems indiens, provenant des Montagnes Rocheuses (1), par ce parfait connaisseur du folklore américain, le docteur Marius Barbeau, directeur du Musée national du Canada, honneur de la science canadienne française (2).
C’est au grand siècle, on le sait, que commença la vogue mondaine des contes, lorsqu’en janvier 1697, Charles Perrault publia ses petits écrits alertes, d’une bonhomie peut-être un peu godronnée, et cependant charmants, les Contes de la mère l’Oie.
Dès lors, la belle société raffola des fées et des lutins, voire des géants et des ogresses. Les dames se piquaient de « mitonner », c’est-à-dire de réciter à tour de rôle, dans les salons littéraires, quelque joli conte du temps passé, dont quelque brave nourrice avait bercé leur petite enfance.
L’une d’elles, Mlle Lhéritier de Villandon, non contente de « mitonner », se piqua d’écrire d’agréable nouvelles, celle entre autres des Aventures de Finette, l’adroite princesse.
Et les rivales ne manquèrent point : la comtesse de Murat, la comtesse d’Aulnoy – la plus méchante des fées –Mlle de la Force, Mme d’Auneuil... C’étaient encore les beaux jours de l’Europe française et cet engouement de la Cour et de la Ville eut tôt fait de franchir nos frontières.
Des enquêteurs, avides de savoir, parcoururent les campagnes et notèrent les simples et merveilleux récits des paysans. On s’aperçut alors que les contes recueillis aux quatre coins du monde avaient entre eux un véritable air de famille, et ce fut l’origine des recherches des frères Grimm, de Max Müller, d’Angelo de Gubernatis et de Lang. Depuis, l’étude des contes est devenue l’une des branches les plus opulentes de ce bel arbre des traditions populaires, le folklore.
Qui sait cependant si les maîtres-mots sur ce thème vénérable et toujours jeune n’ont pas été prononcés, dans son Dialogue sur les Contes de fées, par Anatole France. De fait, la Mère l’Oie ne cessa jamais de le hanter et l’on ne doit pas être surpris si M Bergeret plaça l’un de ses meilleurs récits sous le signe de la Reine Pédauque.
Nos bons villageois, quand on les pressait de dire qui leur avait enseigné tous ces contes, n’avaient jamais qu’une réponse, dont Perrault, d’ailleurs, fit son profit : « C’est ma mère l’Oie. »
Une telle réponse ne pouvait contenter nos savants. Ceux-ci ne tardèrent pas à identifier la mère Loye – « qui toujours filoit et toujours devisoit » à la Reine Pédauque (Regina Pedis aucae) : « Qu’est-ce que la mère  l’Oie, dit Anatole France, sinon notre aïeule à tous, et les aïeules de nos aïeules, femmes au cœur simple... et qui, desséchées par l’âge, n’ayant comme les cigales chair ni sang, devisaient encore au coin de l’âtre, sous la poutre enfumée, et tenaient à tous les marmots de la maisonnée ces longs discours qui leur faisaient mille choses ?... Sur le canevas des ancêtres, sur le vieux fonds hindou, la mère l’Oie brodait des images familières, le château et les grosses tours, la chaumière, le champ nourricier, la forêt mystérieuse et les belles dames, les fées, tant connues des villageois et que Jeanne d’Arc aurait pu voir, le soir, sous le grand châtaignier, au bord de la fontaine. »
Cette Reine Pédauque, si elle est sculptée au portail des églises de Sainte-Marie de Nesles, de Saint-Bénigne de Dijon et de Saint-Pierre de Nevers, peu nous chaut, Gascons et Languedociens, Pyrénéens. La Reine Pédauque ne saurait être que de chez nous.
Dans nos campagne, dans nos montagnes, toutes chargées de sublimes légendes, de fabliaux narquois et d’épopées, les petites filles d’Occitanie ne mènent-elles pas encore leurs rondes au chant devenu pour nous inintelligible de :
Cati-cati-mauco,
Lengo de Pedauco !

C’est elle, n’en doutez pas, qui a inspiré à Gaston Maugard sa généreuse entreprise ; bien plus encore que les ménines et les pépis, interrogés par ce jeune conteur ardent et passionné, c’est la reine Pédauque qui s’est penchée, aux veillées d’hiver, sur ce fils du pays de Sault, avide d’apprendre et de connaître, avant d’enseigner et d’instruire ; c’est elle qui, sa couronne d’or dissimulée sous le capulet pyrénéen, est venue s’asseoir près de l’enfant rêveur et lui a conté les plus belles histoires d’un passé qui ne saurait mourir, c’est elle, la Reine aux  pieds palmés, qui a fait ce don merveilleux, grâce auquel on peut prédire à ce livre, chez les grands comme chez les petits, la plus grande audience : le don de vie.

Raymond Escholier


1 Plusieurs au Musée national du Canada, à Toronto, un autre, vieux d’un siècle, au Musée de l’Homme à Paris.
2 Marius Barbeau, Bear Mother (Journal of Américan Folklore, January-Match 1946)

L'image de la Reine Pédauque provient du site : http://sadland.over-blog.com/article-la-reine-pedauque-39957890.html

Conte de Grimm : La Reine des Abeilles

La Reine des Abeilles
Adapté du conte de Grimm
A partir de 3 ans
Ce conte intitulé par les folkloristes les Animaux reconnaissants  est surtout répandu en Europe et en Asie. Dès le XIVe siècle, il apparaît dans un recueil de contes perses
Il y avait une fois trois fils de roi. Un jour, les deux aînés s'en allèrent chercher l’aventure mais ils firent tant de bêtises qu'ils n’osèrent pas revenir chez leur père. Leur frère cadet, qu'on appelait le petit nigaud, se mit à leur recherche. Mais, quand il les eut retrouvés, ils se moquèrent de lui, en disant :
-Nous sommes plus malins que toi et nous n’avons rien fait de bon. Et toi, pauvre naïf, tu crois pouvoir te débrouiller dans un monde si difficile
Ils se mirent en route tous les trois et en chemin, ils rencontrèrent une fourmilière.
foumilliere
-Oh oui ! dit le second. Ce sera amusant de voir les fourmis courir de tous côtés en emportant leurs œufs.
Mais le petit nigaud leur dit : « Laissez en paix ces animaux, je ne souffrirai pas qu'on les trouble. »
Plus loin ils trouvèrent un lac sur lequel nageaient des canards.
canards-parc-pic-1-Aidez-moi à les attraper, dit l’aîné.
-Oui, dit le second, nous les ferons rôtir.
Non, dit le jeune laissez en paix ces animaux ; je ne souffrirai pas qu'on les tue.»
Plus loin encore ils aperçurent dans un arbre un nid d'abeilles, si plein de miel qu'il en coulait tout le long du tronc.
reine-des-abeilles-Regardez, dit l’aîné, ce nid d’abeilles est plein de miel.
-Il faut allumer un feu au pied de l’arbre, dit le second ; les abeilles s’en iront et nous prendrons le miel.
Non, dit le petit nigaud, laissez ces animaux en paix ; je ne souffrirai pas que vous les brûliez.
Enfin les trois frères arrivèrent dans un château dont les écuries étaient pleines de chevaux changés en pierre; on n'y voyait personne. Ils traversèrent toutes les salles sans voir personne et parvinrent à la fin devant une porte fermée par trois serrures. Au milieu de la porte il y avait une petite fenêtre par laquelle on apercevait un appartement. Ils y virent un petit homme à cheveux gris, assis devant une table. Ils l'appelèrent une fois, deux fois, sans qu'il parût entendre; à la troisième, il se leva, ouvrit la porte et sortit au-devant d'eux ; puis sans prononcer une parole, il les conduisit à une table richement servie, et, quand ils eurent bu et mangé, il les mena chacun dans une chambre à coucher séparée.
Le lendemain matin, le petit vieillard vint chercher l’aîné des frères, et le conduisit devant une table de pierre. Là étaient écrites trois épreuves dont il fallait venir à bout pour désenchanter le château. La première était de chercher dans la mousse, au milieu des bois, les mille perles de la princesse, qu'on y avait semées ; et, si le chercheur ne les avait pas trouvées toutes avant le coucher du soleil, sans qu'il en manquât une seule, il serait changé en pierre.
L'aîné passa tout le jour à chercher les perles ; mais, quand arriva le soir, il n'en avait pas trouvé plus de cent, et il fut changé en pierre, comme il était écrit sur la table. Le lendemain, le second frère entreprit l'aventure; mais il ne réussit pas mieux que son aîné : il ne trouva que deux cents perles, et il fut changé en pierre.
Enfin vint le tour du petit nigaud. 
Il chercha les perles dans la mousse. Mais comme c'était bien difficile et bien long, il s'assit sur une pierre et se mit à pleurer. 
Il en était là, quand la reine des fourmis à laquelle il avait sauvé la vie, arriva avec cinq mille de ses sujets, et il ne fallut qu'un instant à ces petits animaux pour trouver toutes les perles et les réunir en un seul tas aux pieds du garçon. Il n’en manquait pas une !
La seconde épreuve consistait à repêcher la clef de la chambre à coucher de la princesse, qui était tombée au fond du lac. 
Quand le jeune prince approcha de l’eau, les canards qu'il avait sauvés vinrent à sa rencontre, plongèrent au fond de l'eau et en rapportèrent une clef. C’était bien la clef de la chambre de la princesse !

Mais la troisième épreuve était la plus difficile : trois princesses étaient endormies et il fallait reconnaître la plus jeune et la plus aimable d'entre les trois princesses. Elles se ressemblaient parfaitement, et la seule chose qui les distinguât était qu'avant de s'endormir, l'aînée avait mangé un morceau de sucre, tandis que la seconde avait bu une gorgée de sirop, et que la plus jeune avait pris une cuillerée de miel.
Le garçon ne savait pas laquelle désigner quand la reine des abeilles que le jeune homme avait sauvées du feu vint à son secours: elle alla flairer la bouche des trois princesses, et resta posée sur les lèvres de celle qui avait mangé du miel : le prince la reconnut ainsi.
Il s’approcha d’elle et elle s’éveilla. Alors, l'enchantement étant détruit, le château fut tiré de son sommeil magique, et tous ceux qui étaient changés en pierres reprirent la forme humaine.
Celui que l’on appelait « le petit nigaud » épousa la plus jeune et la plus aimable des princesses, et il fut roi après la mort de son père. Quant à ses deux frères, ils épousèrent les deux autres sœurs.