dimanche 20 octobre 2013

Une Histoire d’Amitié

Une très belle histoire d'amitié, qui doit donner à réfléchir, à méditer sur le sens que l'on donne à ce si joli mot.
Je ne sais pas qui est l’auteur de cette belle histoire, si vous le savez, n’hésitez pas à me le communiquer

C'est l'histoire de deux amis qui marchaient dans le désert.
 A un moment, ils se disputèrent et l'un des deux donna une gifle à l'autre. Ce dernier, endolori mais sans rien dire, écrivit dans le sable :
"AUJOURD'HUI MON MEILLEUR AMI M'A DONNE UNE GIFLE."
Ils continuèrent à marcher puis trouvèrent un oasis, dans lequel ils décidèrent de se baigner. Mais celui qui avait été giflé manqua de se noyer et son ami le sauva.
Quand il se fut repris, il écrivit sur une pierre:
"AUJOURD'HUI MON MEILLEUR AMI M'A SAUVE LA VIE.
Celui qui avait donné la gifle et avait sauvé son ami lui demanda :
"Quand je t'ai blessé tu as écrit sur le sable, et maintenant tu as écrit sur la pierre.
Pourquoi?"
L'autre ami répondit :
"Quand quelqu'un nous blesse, nous devons l'écrire dans le sable, où les vents du pardon peuvent l'effacer. Mais quand quelqu'un fait quelque chose de bien pour nous, nous devons le graver dans la pierre, où aucun vent ne peut l'effacer."


Apprends à écrire tes blessures dans le sable et à graver tes joies dans la pierre

jeudi 3 octobre 2013

Sagesse Indienne Narada et la Foi des Autres

Il était une fois, en Inde, Narada, le grand mystique indien qui était en route vers Dieu.
Il marchait dans la forêt en jouant de la vîna, lorsqu'il aperçut un vieil ascète assis sous un arbre.
Le vieillard lui dit :
- "Je t'en prie, pose une question à Dieu pour moi. Depuis trois vies, je fais tout ce qui est en mon pouvoir, que faut-il de plus ? Quand donc serai-je libéré ?"
Narada acquiesça et s'éloigna en riant.
Un peu plus loin, il vit un jeune homme en train de danser et de chanter.
Narada le taquina :
- "Aimerais-tu toi aussi poser une question à Dieu ?"
Le jeune homme continua à danser comme s'il n'avait pas entendu.

Quelques jours plus tard, Narada revint vers eux.
Au vieil homme, il annonça que Dieu lui imposait trois vies supplémentaires.
Pris de rage, l'ascète jeta son chapelet et ses saintes écritures par terre :
- "C'est inadmissible ! C'est injuste ! Encore trois vies !"
Narada se tourna ensuite vers le jeune homme qui dansait comme à l'accoutumée :
- "Bien que tu ne m'aies chargé d'aucune mission, je me suis permis d'interroger Dieu. Vu la réaction de l'ascète, j'hésite un peu à te révéler ce que j'ai appris."
Comme le danseur ne lui prêtait aucune attention, Narada poursuivit :
- "Dieu m'a demandé de te dire que tes vies à venir sont aussi nombreuses que les feuilles de l'arbre sous lequel tu danses pour le moment."

Le jeune homme se mit à tournoyer extatiquement avant de répondre :
- "Pas plus que cela ? Il y a tant d'arbres dans le monde et une telle multitude de feuilles, celles d'un seul arbre suffisent donc pour compter le temps qu'il me reste à traverser ? La prochaine fois que tu verras Dieu, remercie-Le pour moi !"
Ainsi, le jeune homme fut délivré sur-le-champ des ténèbres de l'inconscience.
Ainsi se termine cette histoire.
Alors ?
Alors, quand la foi est totale, le temps n'a plus de raison d'être. En revanche, si vous n'avez pas confiance, trois vies seront de loin très insuffisantes.

mardi 1 octobre 2013

Conte norvégien Pierre le Paresseux et le Roi des Trolls

Adapté du folklore norvégien
Le personnage central, vagabond et fanfaron, apparait dans de nombreux contes norvégiens. L’écrivain Henrik Ibsen en a fait le héros de sa pièce Peer Gynt (1876) qui fut mis en musique par Edvard Grieg. Une des scènes de ce drame raconte la descente de Peer Gynt, attiré par les richesses et les honneurs que lui vaudra son mariage avec la princesse Troll, dans le monde souterrain. Mais, pour accéder à tout cela, il doit renoncer à sa condition d’homme. Il réalise alors que ces prétendus honneurs le conduisent à la déchéance et il s’enfuit. Il passera sa vie à courir le monde et ne retrouvera celle qu’il aime qu’après bien des aventures

Pierre le paresseux portait bien son nom. Il ne pensait qu’à vagabonder dans la montagne, à dormir au bord des torrents ou à boire à l’auberge avec des chenapans de son espèce. Et, depuis la mort de son père, sa pauvre mère s’épuisait à travailler seule les champs.
Dès que Pierre rentrait à la maison, elle essayait de lui faire entendre raison.
-Tu ne pourras pas vagabonder toute ta vie ! lui disait-elle. Il est temps que tu te maries et que tu travailles. Répare au moins le toit de la maison, il va bientôt me tomber sur la tête !
-Je ne suis pas fait pour être paysan ou charpentier, répondait Pierre. Un jour, j’épouserai une princesse, je vivrai dans un beau château et j’aurai des tas de serviteurs !
Alors la pauvre femme haussait les épaules et se taisait. 
Un soir, Pierre décida d’aller au bal mais il ne prit pas la peine de se laver ni de changer de vêtements. Quand les jeunes filles le virent arriver, crasseux, mal peigné et les vêtements crottés, aucune d’elles ne voulut dans er avec lui. Il resta donc tout seul et se mit à bouder dans un coin. Tout à coup, il vit entrer la jolie Sueva et ses parents. Aussitôt il bondit devant elle, l’invita, et sans même attendre sa réponse, il l’entraîna au milieu des danseurs. Sueva était si douce et si gentille qu’elle ne se fâcha pas de ces vilaines manières. Il faut dire aussi que Pierre était plutôt joli garçon... mais la mère de Sueva connaissait sa réputation de paresseux et fut très fâchée de voir sa fille danser avec lui. Elle lui fit signe de revenir auprès d’elle.
-Pierre, laisse-moi, ma mère m’appelle, dit Sueva à l’oreille de son cavalier.
Pour toute réponse, il la serra plus fort. Elle insista :
-Je t’en prie, ne me retiens pas.
-Si ! Moi je veux danser avec toi !
Tout le monde riait de les voir se disputer. Elle parvint enfin à se dégager et s’en alla en pleurant.
Furieux d’être délaissé par sa cavalière, Pierre partit dans la montagne. C’était la pleine lune et on y voyait presque comme en plein jour, bien qu’il fût près de minuit. Tout à coup, il se rendit compte que quelqu’un marchait près de lui. Il s’arrêta, le cœur battant, et vit que c’était simplement une jeune fille. Mais il la trouva bien étrange, avec son long nez qui balançait de-ci, de-là, comme la trompe d’un éléphant.
-De quel village êtes-vous ? demanda-t-il
-Mais je ne viens pas d’un village, dit-elle. Je suis la fille du roi Baboro.
Il comprit alors qu’elle appartenait au peuple des Trolls et ne put s’empêcher de frissonner. Puis il se dit que c’était l’occasion rêvée de fréquenter une princesse... mais est-ce qu’une princesse accepterait de se marier avec un simple paysan ?
Alors il répondit effrontément :
-Moi, je suis le prince Pierre, fils de la reine Mathilda. Je me promène dans le pays pour voir comment vivent mes sujets. Et vous, princesse, que faites-vous dans la montagne à cette heure ?
-Je suis sortie me rafraîchir un peu, dit-elle. Il fait si chaud dans la salle de bal du palais !
-Tiens, vous aussi vous avez bal ce soir ? dit Pierre. Mais où est votre palais ?
-Venez, prince Pierre, je vais vous le montrer. Je vous invite au grand bal des Trolls.
Pierre était paresseux mais il n’avait pas froid aux yeux. Sans hésiter, il suivit la princesse Troll jusqu’à un sentier qui s’enfonçait au cœur de la montagne et conduisait à une immense caverne. Le sol grouillait de Trolls qui dansaient tandis que d’autres mangeaient et buvaient à une grande table présidée par le roi Baboro.
L’arrivée de Pierre fut très remarquée  et les demoiselles Trolls se mirent à couiner et à glousser en le voyant. D’abord Pierre se rengorgea et prit un air avantageux, mais il se sentit vite mal à l’aise en les entendant parler !
-Je voudrais lui croquer les fesses ! disait l’une
-Non, laissez-le-moi, protestait une autre, je vais le couper en morceaux et le faire griller.
-Vous êtes bien assez grosses comme ça, disait une autre. Moi aussi, je veux y goûter.
Mais les Trolls se pressaient autour de Pierre en sautillant de joie et en se léchant les babines.
Heureusement, la princesse alla parler à son père et celui-ci frappa dans ses mains.
-Silence, cria-t-il. Et il ajouta en s’adressant à Pierre : ainsi donc, tu es prince ?
Oui, je suis le prince Pierre, fils de la reine Mathilda.
-Parfait, parfait, marmotta le roi. Et tu veux épouser ma fille ?
-Heu... je... je n’y avais pas pensé, mais puisque vous me le proposez, j’accepte sa main et votre royaume comme dot.
-Holà, pas si vite ! protesta le roi, tu auras mon royaume après ma morte. D’abord, il faut que tu supportes des épreuves. Mais ne t’inquiète pas, si tu n’es pas digne d’être mon gendre... tu seras toujours digne d’être mangé !
A ces mots, une tempête de cris, de rires et de trépignements se déchaîna parmi les Trolls.
-Les épreuves ! Commençons les épreuves ! criaient des centaines de bouches aux dents pointues.
Pour devenir roi, Pierre était prêt à tous les sacrifices. Il déclara fièrement :
-Je réussirai les épreuves !
-Tout d’abord, reprit le roi, il faut que tu portes une queue comme nous. C’est un signe de noblesse.
Un Troll alla chercher la queue de la vache servie au banquet, et l’attacha au derrière de Pierre. Il se mit à remuer en cadence le bas du dos pour faire voltiger fièrement l’insigne de sa noblesse. Les cris de joie et les trépignements se déchaînèrent.
« Mon peuple m’acclame déjà ! » pensa Pierre.
-Maintenant, dit le roi quand le silence se fut rétabli, tu vas manger et boire avec moi.
Deux Trolls apportèrent des plats et des coupes. Le roi se pencha pour humer d’un air gourmand l’odeur de pourriture et d’excréments qui s’en dégageait. Il tendit une coupe à Pierre en disant :
-Ce sont des spécialités de mon royaume...de ton futur royaume !
Mais l’odeur était si repoussante que Pierre refusa énergiquement.
Aussitôt les Trolls se rapprochèrent. En voyant leurs babines retroussées sur les dents pointues, Pierre s’empara de la coupe, se pinça le nez et avala le liquide sans respirer.
-Hourra ! vive le Prince Pierre !
Et dans le tintamarre, personne ne prit garde que Pierre se retournait pour vomir ce qu’il venait d’avaler.
-Parfait, di le roi, continue à te régaler pendant le spectacle.
Les Trolls se massèrent sur les côtés de la caverne tandis que des musiciens et des danseuses prenaient place au centre. Imaginez trente chats, la queue pincée dans des pièges à souris, et vous aurez une idée de la musique. Imaginez trente éléphants qui sautillent et dix cochons qui se tortillent, vous aurez une idée des danseuses.
Les Trolls poussaient des soupirs et s’essuyaient les yeux cat ils étaient très émus par le spectacle. Mais Pierre se tordait de rire. Quand le roi s’en aperçut, il frémit d’indignation. En frappant dans ses mains il arrêta le spectacle, se leva et, s’adressant à Pierre, il dit d’un air solennel :
-Je vois que malheureusement, tu n’es pas sensible à la musique et à la danse, pas plus qu’aux fines nourritures. Hélas ! à quoi te servent tes yeux, tes oreilles et ta langue ? Heureusement, j’ai pour toi beaucoup d’affection et je vais te le prouver : je vais t’arracher les yeux et la langue. Ainsi, tu pourras demeurer parmi nous sans problème.
Pierre se leva à son tour, épouvanté et commença à recule vers la sortie. Il cria au roi :
-Mais arrêtez ! Je ne veux pas être aveugle et muet, je ne veux pas rester avec vous ! D’ailleurs, je ne suis pas prince. J’ai menti, j’ai tout inventé.
Les Trolls se rapprochaient dangereusement, alors, il se mit à courir vers la sortie, de toutes ses forces. La horde des Trolls se jeta sur ses traces en hurlant.
La tête en feu, la poitrine prête à éclater, Pierre courait le long du chemin qui montait vers la sortie. Enfin il aperçut au loin une lueur : la liberté, la vie !
Mais déjà les Trolls s’accrochaient à ses vêtements et commençaient à les déchirer à coups de griffes et de dents. A quelques pas de la sortie, il s’effondra épuisé, et la meute hurlante le recouvrit.
« Cette fois, tout est perdu », pensa Pierre.
Alors dans le silence de la nuit, s’éleva le ton grave d’une cloche. Aussitôt, les Trolls se bouchèrent les oreilles en gémissant er refluèrent vers l’intérieur de la montagne. En quelques secondes ils avaient tous disparus et Pierre resta seul, hébété, meurtri, mais vivant. Sans attendre, il descendit vers la vallée, vers la cloche qui sonnait toujours. Arrivé au village, il alla droit à l’église.
-Je veux savoir qui sonne les cloches en pleine nuit, il ne l’a sans doute pas fait exprès mais il m’a sauvé la vie.
Dès qu’il entra dans l’église, le sonneur de cloches se jeta dans ses bras : c’était Sueva. Elle lui dit :
-Je t’ai vu partir dans la montagne. Alors, j’ai attendu. Comme tu ne revenais pas, j’ai pensé aux Trolls, j’ai eu peur pour toi et j’ai sonné les cloches pour les effrayer
-Et tu as parfaitement réussi, répondit Pierre. Si tu savais comme j’ai eu peur ! Je crois que ça m’a guéri de l’envie de vagabonder dans la montagne... Figure-toi que j’ai failli devenir le prince des Trolls, mais à partir d’aujourd’hui, je n’aurai pas d’autre princesse que toi.

Quelques jours plus tard, Pierre épousa Sueva. Pour qu’elle vienne habiter chez lui, il répara le toit de la maison et se mit à travailler dur. Il resta toute sa vie un simple paysan, mais cela ne l’empêcha pas d’être heureux... comme un roi !

samedi 28 septembre 2013

Conte Gascon : Le Roi des Corbeaux

Il y avait une fois un homme qui était vert comme l’herbe et qui n’avait qu’un œil au milieu du front. Ses trois filles étaient belles comme le jour, mais la plus jeune était encore plus ravissante que les aînées. Elle n’avait que dix ans.
Un soir d’hiver, l’homme vert se mit à la fenêtre. Tout d’un coup, dans un grand bruit d’ailes, un oiseau grand comme un veau et noir comme la nuit vint se poser sur le rebord de la fenêtre.
« Coac! Coac! Coac! Je suis le roi des corbeaux.
- Roi des corbeaux, que me veux-tu ?
- Coac ! Coac ! Coac ! Homme vert, je veux une de tes trois filles en mariage.
- Roi des corbeaux, attends-moi ici. » L’homme vert alla dans la chambre de ses trois filles et leur dit :
« Le roi des corbeaux demande l’une de vous en mariage. »
« Père, répondit l’aînée, je suis fiancée depuis un an au fils du roi d’Espagne. Hier, mon amoureux m’a fait dire qu’il viendrait me chercher bientôt pour m’emmener dans son pays. Vous voyez bien que je ne peux pas épouser le roi des corbeaux.
-Père, dit la deuxième fille, je suis fiancée depuis un an au fils du roi des Iles de la mer. Hier, mon amoureux m’a fait dire qu’il viendrait me chercher bientôt pour m’emmener dans son pays. Vous voyez bien que je ne peux pas épouser le roi des corbeaux. »
L’homme vert regarda sa dernière fille, mais la voyant si jeunette, il en eut pitié. Sans rien lui demander, il s’en revint trouver le roi des corbeaux qui attendait toujours, posé sur le rebord de la fenêtre.
« Roi des corbeaux, dit-il, aucune de mes filles ne veut de toi. »
Alors, le roi des corbeaux entra dans une colère terrible. D’un coup de bec, il creva l’œil que l’homme vert avait au milieu du front et s’envola dans la brume. L’homme vert se mit à crier et ses filles arrivèrent en courant.
« Père, qu’avez-vous ? Qui vous a crevé l’œil ?
- C’est le roi des corbeaux, gémit-il, parce que vous l’avez toutes les trois refusé en mariage.
« Père, dit doucement sa plus jeune fille, moi, je ne l’ai pas refusé. »
Le lendemain, le roi des corbeaux revint demander une fille en mariage. L’homme vert lui dit : « Roi des corbeaux, tu auras ma plus jeune fille. »
Alors le roi des corbeaux lui rendit la vue et lui dit : « Coac ! Coac ! Coac ! Dis à ma fiancée qu’elle soit prête demain à la pointe du jour. »
Le lendemain, le ciel était noir de corbeaux. Ils emportèrent leur nouvelle reine à travers les airs, dans leur pays de froid, de neige et de gel, où il n’y avait ni arbres ni fleurs. Au soleil couchant, ils la déposèrent devant la porte du château du roi. Elle entra. Partout des lumières étaient allumées et le feu brûlait dans les cheminées, mais elle ne vit personne.
Tout en se promenant de chambre en chambre, elle arriva dans une grande salle où était dressée une table couverte de plats et de boissons. Il n’y avait qu’un seul couvert. Mais elle n’avait pas le cœur à manger. Elle alla se coucher dans un lit orné de rideaux d’or et d’argent, et attendit, en laissant une lumière allumée.
Au premier coup de minuit, elle entendit un grand bruit d’ailes. C’était le roi des corbeaux. C’était le roi des corbeaux. Il s’arrêta devant sa porte et lui dit :
« Coac ! Coac ! Coac ! Eteins la lumière.”
La reine souffla la chandelle et le roi des corbeaux entra, dans l’obscurité.
« Coac ! Coac ! Coac ! Écoute-moi. Il y a longtemps, j’étais roi parmi les hommes. Aujourd’hui, je suis roi parmi les corbeaux. Un méchant sorcier nous a changé, moi et mon peuple, en corbeaux. Mais grâce à toi, notre épreuve va finir. Je viendrai dormir près de toi chaque nuit mais tu n’as que dix ans et tu ne seras véritablement ma femme que dans sept ans. D’ici là, n’essaie surtout pas de me voir, car il arriverait de grands malheurs à mon peuple et à moi. »
La reine entendit le roi des corbeaux quitter son plumage, puis il se coucha près d’elle. Elle avança la main et elle sentit le froid d’une épée qu’il avait posé entre eux deux. Au matin, alors qu’il faisait encore nuit, elle l’entendit reprendre son plumage et son épée et partir.
Comme elle s’ennuyait à vivre toute seule, la pauvre petite prit l’habitude de partir se promener dans la campagne, malgré le gel et la neige. Elle emportait quelques provisions et ne rentrait que le soir. Un jour, en gravissant une montagne, elle arriva devant un lavoir. Une vieille femme y lavait un linge noir comme la suie en chantant :
Lavandière, continue de laver.
Quand donc va arriver La fillette épousée ?
« Bonjour , lavandière, dit la reine. Je vais vous aider à laver votre linge
- Avec plaisir, pauvrette » répondit la vieille femme.
A peine avait-elle trempé le linge dans l’eau, qu’il devint blanc comme le lait. Alors la lavandière se mit à chanter :
Enfin elle est arrivée, La fillette épousée.
Et elle dit à la reine : « Pauvrette, il y a longtemps que je t’attendais. Grâce à toi, mon épreuve est terminée. Mais toi, tu n’as pas fini de souffrir. Maintenant va-t’en, et ne reviens ici que le jour où tu en auras grand besoin. »
La reine retourna au château. Pendant sept ans moins un jour, elle vécut ainsi, sans voir son mari. Enfin, elle se dit :
« Le temps de mon épreuve va finir. Un jour de moins, ça ne compte pas. Ce soir, je saurai à quoi ressemble le roi des corbeaux. »
Le soir, elle cacha une lumière dans sa chambre. Quand le roi des corbeaux fut endormi, elle alla prendre la chandelle et le regarda : c’était un jeune homme beau comme le jour ! Elle s’approcha pour mieux le voir, et un peu de cire brûlante tomba sur lui. Alors il s’éveilla.
« Femme, lui-dit-il, qu’as-tu fait ? Si tu avais attendu demain, j’aurais été à toi pour toujours sous la forme où tu me vois maintenant. Mais ce qui est fait est fait. Quitte ce château car il va s’y passer des choses que tu ne dois pas voir et va où tes pas te conduiront.
La reine quitta le château en pleurant. Le méchant sorcier qui tenait le roi des corbeaux en son pouvoir entra dans la chambre, enchaîna son ennemi et l’emporta à travers les nuages en haut d’une montagne. Là, il enfonça l’extrémité de la chaîne dans le roc et y coula du plomb fondu. Il fit garder le roi des corbeaux par deux grands loups : l’un était blanc et veillait le jour, l’autre était noir et veillait la nuit.
Pendant ce temps, en pleurant, la reine avait pris le chemin de la montagne, pour aller demander de l’aide à la vieille lavandière. Celle-ci lui donna une besace qui contenait toujours du pain, une gourde qui contenait toujours du vin, un couteau d’or et des sabots de fer.
« Mets ces sabots de fer et cherche l’herbe bleue qui chante nuit et jour et qui brise le fer. Quand tes sabots se briseront, tu ne tarderas pas à retrouver ton mari.
La reine partit. Elle marcha longtemps et arriva dans un pays où le soleil brillait jour et nuit. Elle le parcourut pendant un an et trouva une herbe bleue. Elle saisit son couteau d’or.
« Reine, lui dit l’herbe bleue, je ne suis pas l’herbe bleue qui chante nuit et jour et qui brise le fer. »
Alors la reine repartit. Elle arriva dans un pays où la lune brillait jour et nuit. Elle le parcourut un an et trouva une herbe bleue qui chantait jour et nuit. Elle prit son couteau.
« Reine, lui dit l’herbe bleue, je suis l’herbe bleue qui chante jour et nuit mais je ne suis pas l’herbe qui brise le fer. »
Alors la reine repartit. Elle arriva dans un pays où il faisait toujours nuit. Au bout d’un an, elle entendit chanter dans la nuit : « Je suis l’herbe bleue qui chante jour et nuit, l’herbe qui brise le fer. »
Alors les sabots de la reine se brisèrent. Elle marcha vers l’endroit d’où venait la chanson, trouva l’herbe bleue et la coupa de son couteau d’or.
Pendant sept jours et sept nuits, elle marcha encore et elle finit par sortir du pays de la nuit. Elle arriva au pied d’une montagne et aperçut le roi des corbeaux enchaîné au sommet. Le loup blanc veillait tandis que le loup noir dormait.
L’herbe bleue chantait toujours : « Je suis l’herbe bleue qui chante jour et nuit, l’herbe qui brise le fer. »
Bercé par cette chanson, le loup blanc ferma les yeux, se coucha et s’endormit. La reine s’approcha et, de son couteau d’or, égorgea le loup blanc et le loup noir. Puis, avec l’herbe bleue, elle toucha les chaînes qui emprisonnaient le roi des corbeaux. Aussitôt, l’herbe bleue se flétrit, les chaînes se brisèrent et le roi des corbeaux se leva, libre. Des quatre coins du ciel arrivèrent des corbeaux. Au fur et à mesure qu’ils se posaient sur la montagne, ils reprenaient leur forme d’homme. Le roi dit à son épouse :

« Merci, grâce à toi, mes épreuves et celles de mon peuple sont terminées. Désormais, nous pourrons être heureux. »

Sagesse Amérindienne : Deux Loups


Une très belle et trop courte histoire qui devrait nous faire réfléchir un petit peu...  J'ai gambergé  bien sûr et  le résultat : je continue à nourrir mes deux loups...  Et vous? quel sera Votre loup gagnant?

DEUX LOUPS 
Un soir, un vieux Cherokee parlait à son petit-fils du combat qui a lieu à l’intérieur des gens.
Il disait : « Mon petit, il y a une lutte entre deux loups à l’intérieur de chacun de nous.
« L’un est le Mal – c’est la colère, l’envie, la jalousie, le chagrin, le regret, la cupidité, l’arrogance, l’apitoiement, la culpabilité, l’amertume, le sentiment d’infériorité, le mensonge, l’orgueil, la supériorité et l’égo.
« L’autre est le Bien – c’est la joie, la paix, l’amour, l’espoir, la sérénité, l’humilité, la bonté, la bienveillance, l’empathie, la générosité, la vérité, la compassion et la foi. »
Le petit-fils a réfléchi pendant quelques instants, puis il a demandé à son grand-père :
« Quel loup va gagner? »
Le vieux Cherokee a simplement répondu : « Celui que tu nourris. »

Le Miraculé de Solférino

Cette magnifique histoire est à lire -ou à faire lire- à vos enfants, car, non seulement elle est parfaitement écrite avec des mots simples (quelquefois un peu de patois), mais en plus, c'est l'occasion de faire un peu d'Histoire -avec les guerres Napoléoniennes - mais aussi de Géographie, en apprenant à situer les villes cié=tées...et tout cela de façon fort agréable

Le Miraculé de Solférino. A l’autre bout de la plaine, près des eaux stagnantes de la Vézère, se profilaient, à travers un rideau de peupliers gigantesques, le clocher verdissant de lichen et les toits d’ardoises bleutés du petit bourg de Saint-Viance. Par ce bel après-midi de la Saint-Jean 1860, un homme marchait à grands pas sur le chemin de terre qui conduisait au village.
solférinoVêtu d’une chemise de toile claire, largement ouverte sur la poitrine, d’un ample pantalon de droguet noir arrêté en accordéon sur une paire de brodequins cloutés, la veste jetée à la diable sur le bras gauche, il portait au bout d’un bâton reposant sur son épaule droite, un énorme baluchon. Coiffé d’un feutre sombre à large bords, visage buriné,  l’homme paraissait encore jeune –la trentaine tout au plus – malgré une vilaine cicatrice au milieu du front et sa barbiche très noire, « à l’impériale » ; cependant, deux yeux bleus, extrêmement mobiles, un nez court et bien dessiné, une bouche rieuse, bannissaient toute sévérité de sa physionomie. En dépit de sa petite taille, l’homme semblait robuste et sous les abords d’un rude paysan, se dégageait une personnalité hardie, aussi instruite des vicissitudes de la terre que de son labour... Il s’appelait Pierre, s’en revenait de guerre, et rentrait « au pays » après six ans d’absence.
Dès qu’il put distinguer nettement les premières maisons du bourg, Pierre se mit à compter ses pas, mentalement, à rebours, pour tromper son impatience. Dans l’enfer de Crimée, au plus âtre de la sanglante campagne d’Italie, il avait tant espéré, imaginé et attendu cet instant, qu’il en connaissant tous les actes, comme un scénario, appris par cœur. Ce serait, il n’en doutait pas, une fête à tout casser, mieux que le retour de l’enfant prodigue, avec de la cochonnaille à pleins cabas et de la  piquette comme s’il en pleuvait ! Et de la bourrée, et de la mazurka, et de la valse, et des filles rougeaudes se démenant au son de la chabrette sous les chênes du mail ! Mais à présent, une sourde angoisse le tenaillait : la mère ? Qu’était-elle devenue, la chère femme, emmurée dans son veuvage, écrasée par les rudes travaux que lui imposait sa misérable condition ? Avait-elle survécu au chagrin de son départ, à la solitude, à la crainte de perdre ce fils unique pour qui elle se serait vouée au diable, malgré son inébranlable piété ? Il se souvenait de son air accablé, le jour où il avait topé, contre une poignée de francs, de remplacer le fils du châtelain, désigné par le sort pour  servir la « paix de l’Empereur ». De son visage bouleversé au moment si joyeux de la conscription ! Mais quoi, à vingt ans, est-il permis d’hésiter entre la misère et la gloire ?
Le village paraissait étrangement silencieux, comme assoupi dans le bouillant prélude de l’été. Pierre consulta le soleil, l’ombre du grand figuier tordu, à demi couché vers le ponant qui, depuis des générations bornait l’entrée sud du bourg. Pas de doute, l’heure de la méridienne largement consommée, à l’époque des fenaisons, le patelin tout entier devrait bourdonner comme une ruche ! Or, pas un chenapan ne se baguenaudait dans la rue, pas un caraco de vieille ne s’agitait sur le pas de la porte. Nul cri, nul appel de vacher ne déchirait l’air et, de la forge elle-même, ne montait plus la grosse vois de l’enclume. « Bah ! se dit Pierre, nos pétarous (pieds-terreux) sont devenus aussi mollasse que des coujous (mangeurs de courges, nom péjoratif des habitants de Brives), ils se seront oubliés dans leurs couettes.
La vieille croix de grès rouge, gardienne de tant de maux, flamboyait sous sa guipure de lierre blanc. C’était à l’un de ses bras, qu’avant de partir, il avait suspendu, selon le rite, un gros bouquet de millepertuis pour conjurer le mauvais œil qui guette le jeune conscrit en campagne. Té, « les anciens », mieux que le curé, s’y connaissaient en maléfices ! Le cœur plein d’une subite gratitude, Pierre laissa chois son bagage, s’agenouilla avec respect devant le saint emblème et baisa, par trois fois, la terre du chemin. Puis, comme frappé par la danse de Saint-Guy, il laissa éclater sa joie, s’aspergeant de poussière, criant et gesticulant aux quatre vents...Aux tintamarre du « fadassou », un corniaud qui somnolait sous une charrette, s’enfuit en jappant de terreur. Ce fut, illico, un beau concert d’aboiements, de hurlements, de braiments, de meuglements... comme si toute la gent animale avait vu le « loup-garou » (dans la tradition limousine, diable déguisé en loup) en personne !
Pas une invective ne s’éleva pour faire cesser le vacarme. Ça, c’était contre nature ! »Parole, ils sont tous morts, dans le bled ! » se dit Pierre, intrigué au plus profond de son être. Alors, résolument, il s’enfonça dans le bourg.
La grand-place était déserte. Déserte ? Non, pas tout à fait. Assis sur un banc de fortune, à l’ombre violâtre d’une sémillante glycine, les mains crochetées à une canne, reposait un vieillard. Pierre reconnut « lou Grognard », ce vieux loufoque sourd comme un pot qui, après avoir traîné ses guêtres quinze ans au service du Grand Empereur, de l’ « ounclhe », ne maniait plus avec verdeur que le bâton et le blasphème... Bon chrétien à Austerlitz, il avait maudit le ciel une première fois dans le charnier de Borodino,  une seconde à Leipzig et pris un dernier coup de sang à Waterloo. Passablement décrépit depuis des années,  il ne s’accrochait à la vie que pour mieux insulter Dieu et le clergé qu’il accusait de haute trahison et de peste bourbonique ! Le ciel, magnanime, ne lui en tenait pas rigueur, puisque le pauvre gaga était encore de ce monde...
C’est alors que Pierre distingua une rumeur confuse, une sorte de brouhaha qui montait de l’église. Au même instant, l’unique cloche se mit à vibrer dans le campanile, comme pour indiquer la fin d’un office et un premier groupe de paysans endimanchés s’inscrivit dans l’embrasure de la porte principale.
« C’était donc ça ! » se dit Pierre en poussant un soupir de soulagement ! Ainsi, les champs déserts, le village muet... tout s’expliquait !
« Pas de cercueil... soliloqua-t-il en retirant son chapeau, il ne s’agit donc pas qu’un enterrement ! Alors, que diable cette messe à l’heure des fauchaisons ? »
En un clin d’œil, le parvis fut noir d’une foule jacassière mais, à sa vue, comme par magie, un bœuf d’une singulière facture pesa sur chaque langue... Aux grands éclats de voix, succéda un silence de mort, à peine troublé par le son aigrelet de la cloche. Réflexe séculaire et opiniâtre... on se défiait des « étrangers » !
« Quoi, marmonna Pierre, surpris par la fraîcheur de l’accueil, tant de visages familiers et par un qui me reconnaisse ?
Pourtant, ajouta-t-il avec une pointe d’émotion, ils sont tous là, au grand complet, propres comme des sous neufs, les hommes mûrs étriqués dans leurs constumes « noubial », les femmes en capote et barbichet (coiffe du pays), tous gauches avec leurs trognes de braves gens enluminées par le grand air ! »
Oui, ils étaient tous là... les Lafargues, les Darcissac, les Sauvage, le gros Baril, la clampe Baudenon, les Lamy... et même les gens du Rieux ((Rieux et Risque-Tout : localités avoisinantes) ! Et comment qu’ils étaient là ! Et comment qu’ils te le lorgnaient, l’arrivant, avec des yeux larges comme des soucoupes, aussi ébahis que s’ils avaient vu le spectre de Saint-Viance ! Pierre les dénombra rapidement et sentit son cœur battre la chamade. Venue du fond des entrailles, une douleur fulgurante lui arracha un cri, vibrant comme la dernière plainte d’un moribond :
« La Mère ! Où est la Mère ? »
Un voile de sang injecta son regard ; il chancela, comme dans la mousquetade de Solférino. La mère n’y était pas !
Tout à coup, quelque chose d’inintelligible, une sorte d’horrible gargouillis, parti crescendo, creva le mur du silence et lui fit recouvrer ses esprits. « Pierrot, noun de Diou, mais ch’est lou Pierrot ! » glapissait le vieux débile, en ponctuant ses piaillements de formidables coups de canne. Il se démena tant et si bien, le pauvre fol, que, derechef, tous les bâtards du voisinage lui firent chorus à pleine gueule...
Un vent de stupeur abêtit l’assemblée. « Lou Pierrot ! Ch’est lou pierrot ! » répétaient les croquants sur le ton de la plus parfaite incrédulité.
« Et bien oui, ch’est moi, lou Pierrot, le fils de la Mélanie en chair et en os ! » hurla-t-il pour couvrir le charivari mais furieux, surtout, qu’on eût l’air d’en douter ;
« Drôlement fadée la réception ! Enfin, qu’est-ce qu’ils ont tous à me regarder avec ces yeux de merlan-frit ? » bougonna-t-il au comble de l’exaspération.
Ce qui se passa alors et à peine descriptible. Une rumeur s’éleva de la foule, puis un grondement, un tollé, enfin, une véritable explosion de joie secoua le village tout entier. Imaginez les débordements d’un Robinson  Crusoé voyant fuir les cannibales, multipliez-les par deux cents, trois cents ou quatre cents, et vous aurez encore une faible idée de la liesse, car régnait ici une sainte odeur de mystère ! Quiconque connaît l’extrême pudeur des limousins pourra juger de l’ampleur du délire qui frappa ces caboches d’un ordinaire si pondérées !... Criant au miracle, invoquant les sains, «  les fades » (fées plus ou moins malfaisantes), la Vierge, « la chasse volante » (lo chasso galiero, horde d’enfants morts sans baptême –très redouté-) et les « tornes » (revenants), tout le saint- frusquin du paganisme rural, un essaim d’hystériques se précipita sur le malheureux Pierrot, l’empoigna à bras-le-corps et le hissant au-dessus de leurs têtes, se le trimballa de main en main, comme une javelle de seigle au bout d’une fourche ! De bonnes grand’mères, percluses des quatre membres s’agenouillèrent en marmottant. Quelques friponnes qui avaient jeté leurs épingles* bien loin de Sainte Catherine, esquissèrent un farandole tandis qu’une horde de mioches, excitée par le tohu-bohu, se flanquait des gnons sous couvert d’allégresse...
Un fait insigne gélifia les ardeurs et ramena promptement le calme. Un calme précaire toutefois, entrecoupé de reniflades, de borborygmes, de brusques raclements de gorges qui en disaient long sur l’émotion des protagonistes. A la porte de la sacristie, soutenue par un de ces curés en sabots et soutane lustrée, plus riche en couleurs qu’en tout autre bien terrestre, venait d’apparaitre une vieille femme, ratatinée, cassée, et comme desséchée sous ses chiffes noires. En suspens sur quelques bras vigoureux, Pierre qui ne comprenait toujours rien à tant de chaud et froid, se crut, un instant le jouet d’une hallucination... Fantasmes, migraines et vertiges constituaient, depuis Solférino, la majeure partie de son bulletin de guerre, tout le gain moral de sa contribution à la gloire de l’Empire !
« La Mère ! » balbutia-t-il en faisant clignoter ses quinquets, comme pour chasser une vision pernicieuse.
Avertie, peut-être par ce sixième sens qu’on dit l’apanage des humbles, la pauvre femme releva son voile et tourna vers lui un visage émacié, exsangue,  mais où brillaient, comme des charbons ardents, deux yeux que tout l’amour du monde n’aurait pu consumer... les mirages ont-ils ces expressions-là ?
Alors, seulement, Pierre réalisa la plénitude de son bonheur retrouvé et, d’un saut de carpe gigantesque s’arracha de son pavois.                                                                                                                                                                                                                                      Deux cris. Deux interjections brèves et naïves éclatèrent sous la feuillée des grands chênes ; en pluie, la confusion retomba sur les villageois : une mère digne, à demi-morte de chagrin, avait retrouvé son enfant. Ce fils de la terre, ce misérable cul-terreux, qui avait rejeté la charrue pour conquérir la fortune à coups de baïonnette ! Comme si le beurre que l’on tire du sang des hommes était plus noble, plus riche et plus savoureux que celui baratté à la cuillère de bois ! Déjà à Sébastopol, dans cette immonde boucherie où la bonne chère fut le privilège exclusif du froid, du choléra et de la canonnade, il avait compris l’inanité de ses illusions. Mais c’est dans les plaines dorées de Lombardie, près de l’illustre champ de bataille de Castiglione où périrent, fauchées pour la gloire d’un autre conquérant, quelques milliers de fortunes en herbe ; qu’une balle d’Autriche lui ouvrit en plein front, un œil d’une cyclopéenne clairvoyance... Tenu pour charogne au soir de la victoire et abandonné au fossoyeur, recueilli à l’ultime minute par une famille de braves Italiens plus démunis que Job, il avait pu, grâce à leurs soins attentifs, recouvrer sa vigueur après plusieurs mois d’une effroyable convalescence. Du néant où il réchappa de justesse, il exhuma le plus grand trésor de la terre : un goût furieux de vivre, de revoir le pays natal, la mère qu’il n’avait cessé d’appeler dans son interminable délire ! Un long cheminement à travers le Piémont, la France rurale, la France hospitalière, permit à ce vivant mort pour des querelles de Princes, de retrouver le foyer perdu, la misérable saveur du bonheur d’antan, de combien préférable encore à la puanteur des charniers !
Que dire sur cette mémorable journée dont le souvenir estompé demeure, gravé par ouï-dire, dans les cervelles de quelques vieux du pays ? Il faudrait un rude talent pour restituer l’atmosphère des réjouissances qui, jointes à celels de la traditionnelle frairie de la Saint Jean, saluèrent les retrouvailles de la « pôv’Mélanie » et de son « Voltijour » de fils, comme la coutume populaire ne manque pas de le désigner. Disons qu’on ne lésina pas sur les barricots, mais les plus solides gueules de bois s’attendrissent vite au grand air et le surlendemain, les carcasses avaient retrouvé leur aplomb !
Le bon mot de cette histoire, ce fut sans doute le curé qui le prononça, lorsque, les premières effusions passées, il s’approcha de Pierre et lui dit, d’un ton très peu sacerdotal :
« Sapristi ! Le Très-Haut m’est témoin, quel sacré couillon tu nous fait ! Retourner au bercail, au jour et à l’heure où nous disions une messe pour le repos de ton âme ! Si seulement tu avais eu l’idée de te pointer à l’Elévation, ça m’aurait fait un saint de plus dans la paroisse ! »

Claude Lajoinie   parut dans Auvergne magazine janvier 1979

Conte pyrénéen :La Reine Pédauque

C'est un conte pyrénéen
« Où reparaît la Reine Pédauque »
Il n’y a guère que deux siècles qu’on se préoccupe de l’origine des contes... on sait que la même fable se retrouve à l’infini à travers le monde et je n’en citerai qu’un exemple, tiré du beau livre que voici : « L’Aventure de Jeans de l’Ours », recueillie par Gaston Maugard, à Nébias, dans l’Aude. J’en rapproche le début –l’enlèvement d’une gracieuse jeune fille par l’ours qui en est épris –d’une étude captivante sur Bear Mother (Maman l’Ourse), publiée avec les reproductions des admirables Totems indiens, provenant des Montagnes Rocheuses (1), par ce parfait connaisseur du folklore américain, le docteur Marius Barbeau, directeur du Musée national du Canada, honneur de la science canadienne française (2).
C’est au grand siècle, on le sait, que commença la vogue mondaine des contes, lorsqu’en janvier 1697, Charles Perrault publia ses petits écrits alertes, d’une bonhomie peut-être un peu godronnée, et cependant charmants, les Contes de la mère l’Oie.
Dès lors, la belle société raffola des fées et des lutins, voire des géants et des ogresses. Les dames se piquaient de « mitonner », c’est-à-dire de réciter à tour de rôle, dans les salons littéraires, quelque joli conte du temps passé, dont quelque brave nourrice avait bercé leur petite enfance.
L’une d’elles, Mlle Lhéritier de Villandon, non contente de « mitonner », se piqua d’écrire d’agréable nouvelles, celle entre autres des Aventures de Finette, l’adroite princesse.
Et les rivales ne manquèrent point : la comtesse de Murat, la comtesse d’Aulnoy – la plus méchante des fées –Mlle de la Force, Mme d’Auneuil... C’étaient encore les beaux jours de l’Europe française et cet engouement de la Cour et de la Ville eut tôt fait de franchir nos frontières.
Des enquêteurs, avides de savoir, parcoururent les campagnes et notèrent les simples et merveilleux récits des paysans. On s’aperçut alors que les contes recueillis aux quatre coins du monde avaient entre eux un véritable air de famille, et ce fut l’origine des recherches des frères Grimm, de Max Müller, d’Angelo de Gubernatis et de Lang. Depuis, l’étude des contes est devenue l’une des branches les plus opulentes de ce bel arbre des traditions populaires, le folklore.
Qui sait cependant si les maîtres-mots sur ce thème vénérable et toujours jeune n’ont pas été prononcés, dans son Dialogue sur les Contes de fées, par Anatole France. De fait, la Mère l’Oie ne cessa jamais de le hanter et l’on ne doit pas être surpris si M Bergeret plaça l’un de ses meilleurs récits sous le signe de la Reine Pédauque.
Nos bons villageois, quand on les pressait de dire qui leur avait enseigné tous ces contes, n’avaient jamais qu’une réponse, dont Perrault, d’ailleurs, fit son profit : « C’est ma mère l’Oie. »
Une telle réponse ne pouvait contenter nos savants. Ceux-ci ne tardèrent pas à identifier la mère Loye – « qui toujours filoit et toujours devisoit » à la Reine Pédauque (Regina Pedis aucae) : « Qu’est-ce que la mère  l’Oie, dit Anatole France, sinon notre aïeule à tous, et les aïeules de nos aïeules, femmes au cœur simple... et qui, desséchées par l’âge, n’ayant comme les cigales chair ni sang, devisaient encore au coin de l’âtre, sous la poutre enfumée, et tenaient à tous les marmots de la maisonnée ces longs discours qui leur faisaient mille choses ?... Sur le canevas des ancêtres, sur le vieux fonds hindou, la mère l’Oie brodait des images familières, le château et les grosses tours, la chaumière, le champ nourricier, la forêt mystérieuse et les belles dames, les fées, tant connues des villageois et que Jeanne d’Arc aurait pu voir, le soir, sous le grand châtaignier, au bord de la fontaine. »
Cette Reine Pédauque, si elle est sculptée au portail des églises de Sainte-Marie de Nesles, de Saint-Bénigne de Dijon et de Saint-Pierre de Nevers, peu nous chaut, Gascons et Languedociens, Pyrénéens. La Reine Pédauque ne saurait être que de chez nous.
Dans nos campagne, dans nos montagnes, toutes chargées de sublimes légendes, de fabliaux narquois et d’épopées, les petites filles d’Occitanie ne mènent-elles pas encore leurs rondes au chant devenu pour nous inintelligible de :
Cati-cati-mauco,
Lengo de Pedauco !

C’est elle, n’en doutez pas, qui a inspiré à Gaston Maugard sa généreuse entreprise ; bien plus encore que les ménines et les pépis, interrogés par ce jeune conteur ardent et passionné, c’est la reine Pédauque qui s’est penchée, aux veillées d’hiver, sur ce fils du pays de Sault, avide d’apprendre et de connaître, avant d’enseigner et d’instruire ; c’est elle qui, sa couronne d’or dissimulée sous le capulet pyrénéen, est venue s’asseoir près de l’enfant rêveur et lui a conté les plus belles histoires d’un passé qui ne saurait mourir, c’est elle, la Reine aux  pieds palmés, qui a fait ce don merveilleux, grâce auquel on peut prédire à ce livre, chez les grands comme chez les petits, la plus grande audience : le don de vie.

Raymond Escholier


1 Plusieurs au Musée national du Canada, à Toronto, un autre, vieux d’un siècle, au Musée de l’Homme à Paris.
2 Marius Barbeau, Bear Mother (Journal of Américan Folklore, January-Match 1946)

L'image de la Reine Pédauque provient du site : http://sadland.over-blog.com/article-la-reine-pedauque-39957890.html

Conte de Grimm : La Reine des Abeilles

La Reine des Abeilles
Adapté du conte de Grimm
A partir de 3 ans
Ce conte intitulé par les folkloristes les Animaux reconnaissants  est surtout répandu en Europe et en Asie. Dès le XIVe siècle, il apparaît dans un recueil de contes perses
Il y avait une fois trois fils de roi. Un jour, les deux aînés s'en allèrent chercher l’aventure mais ils firent tant de bêtises qu'ils n’osèrent pas revenir chez leur père. Leur frère cadet, qu'on appelait le petit nigaud, se mit à leur recherche. Mais, quand il les eut retrouvés, ils se moquèrent de lui, en disant :
-Nous sommes plus malins que toi et nous n’avons rien fait de bon. Et toi, pauvre naïf, tu crois pouvoir te débrouiller dans un monde si difficile
Ils se mirent en route tous les trois et en chemin, ils rencontrèrent une fourmilière.
foumilliere
-Oh oui ! dit le second. Ce sera amusant de voir les fourmis courir de tous côtés en emportant leurs œufs.
Mais le petit nigaud leur dit : « Laissez en paix ces animaux, je ne souffrirai pas qu'on les trouble. »
Plus loin ils trouvèrent un lac sur lequel nageaient des canards.
canards-parc-pic-1-Aidez-moi à les attraper, dit l’aîné.
-Oui, dit le second, nous les ferons rôtir.
Non, dit le jeune laissez en paix ces animaux ; je ne souffrirai pas qu'on les tue.»
Plus loin encore ils aperçurent dans un arbre un nid d'abeilles, si plein de miel qu'il en coulait tout le long du tronc.
reine-des-abeilles-Regardez, dit l’aîné, ce nid d’abeilles est plein de miel.
-Il faut allumer un feu au pied de l’arbre, dit le second ; les abeilles s’en iront et nous prendrons le miel.
Non, dit le petit nigaud, laissez ces animaux en paix ; je ne souffrirai pas que vous les brûliez.
Enfin les trois frères arrivèrent dans un château dont les écuries étaient pleines de chevaux changés en pierre; on n'y voyait personne. Ils traversèrent toutes les salles sans voir personne et parvinrent à la fin devant une porte fermée par trois serrures. Au milieu de la porte il y avait une petite fenêtre par laquelle on apercevait un appartement. Ils y virent un petit homme à cheveux gris, assis devant une table. Ils l'appelèrent une fois, deux fois, sans qu'il parût entendre; à la troisième, il se leva, ouvrit la porte et sortit au-devant d'eux ; puis sans prononcer une parole, il les conduisit à une table richement servie, et, quand ils eurent bu et mangé, il les mena chacun dans une chambre à coucher séparée.
Le lendemain matin, le petit vieillard vint chercher l’aîné des frères, et le conduisit devant une table de pierre. Là étaient écrites trois épreuves dont il fallait venir à bout pour désenchanter le château. La première était de chercher dans la mousse, au milieu des bois, les mille perles de la princesse, qu'on y avait semées ; et, si le chercheur ne les avait pas trouvées toutes avant le coucher du soleil, sans qu'il en manquât une seule, il serait changé en pierre.
L'aîné passa tout le jour à chercher les perles ; mais, quand arriva le soir, il n'en avait pas trouvé plus de cent, et il fut changé en pierre, comme il était écrit sur la table. Le lendemain, le second frère entreprit l'aventure; mais il ne réussit pas mieux que son aîné : il ne trouva que deux cents perles, et il fut changé en pierre.
Enfin vint le tour du petit nigaud. 
Il chercha les perles dans la mousse. Mais comme c'était bien difficile et bien long, il s'assit sur une pierre et se mit à pleurer. 
Il en était là, quand la reine des fourmis à laquelle il avait sauvé la vie, arriva avec cinq mille de ses sujets, et il ne fallut qu'un instant à ces petits animaux pour trouver toutes les perles et les réunir en un seul tas aux pieds du garçon. Il n’en manquait pas une !
La seconde épreuve consistait à repêcher la clef de la chambre à coucher de la princesse, qui était tombée au fond du lac. 
Quand le jeune prince approcha de l’eau, les canards qu'il avait sauvés vinrent à sa rencontre, plongèrent au fond de l'eau et en rapportèrent une clef. C’était bien la clef de la chambre de la princesse !

Mais la troisième épreuve était la plus difficile : trois princesses étaient endormies et il fallait reconnaître la plus jeune et la plus aimable d'entre les trois princesses. Elles se ressemblaient parfaitement, et la seule chose qui les distinguât était qu'avant de s'endormir, l'aînée avait mangé un morceau de sucre, tandis que la seconde avait bu une gorgée de sirop, et que la plus jeune avait pris une cuillerée de miel.
Le garçon ne savait pas laquelle désigner quand la reine des abeilles que le jeune homme avait sauvées du feu vint à son secours: elle alla flairer la bouche des trois princesses, et resta posée sur les lèvres de celle qui avait mangé du miel : le prince la reconnut ainsi.
Il s’approcha d’elle et elle s’éveilla. Alors, l'enchantement étant détruit, le château fut tiré de son sommeil magique, et tous ceux qui étaient changés en pierres reprirent la forme humaine.
Celui que l’on appelait « le petit nigaud » épousa la plus jeune et la plus aimable des princesses, et il fut roi après la mort de son père. Quant à ses deux frères, ils épousèrent les deux autres sœurs.